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politiful people
20 décembre 2005

Lettres de mon chateau : 23 - A l'attention de Jean-Louis Debré

Pour en savoir plus sur les lettres de mon chateau de Sarkozy (alias Mazarin)

Monsieur le Ministre de l'Intérieur et mon cher Jean-Louis,

Pour mettre un terme aux différents dys­fonctionnements que j'ai pu constater depuis ta prise de fonctions place Beauvau, j'ai décidé que désormais tu dépendras directement de la présidence, Alain Juppé ayant définitivement renoncé à travailler avec toi. Tu connais son caractère, il ne faut pas que tu lui en veuilles. Il a l'habitude de travailler rapidement alors, forcément, c'est un peu compliqué pour lui de faire tandem avec toi. Tu sais en revanche la reconnaissance que je te porte pour la fidélité constante qui fut la tienne à mes côtés. Tu n'as donc aucun souci à te faire. Je prendrai le temps qu'il faut et tu finiras par devenir un très grand ministre de l'Intérieur. Il te sera difficile de faire oublier Pasqua. D'ailleurs, en deux mois, tu n'as peut-être rien fait mais, du coup, on ne peut te reprocher la moindre gaffe. Ce n'est déjà pas si mal ! Je ne suis pas certain que nous aurions pu en dire autant avec ton prédéces­seur. Tu n'as aucun complexe à nourrir. Sois toi-même (sans tout de même en rajouter) et souviens-toi que moi aussi j'ai été un piètre ministre de l'Intérieur. En revanche, je te demande de tenir le plus grand compte de mes instructions afin qu'elles soient appliquées sans délai. La première règle est que tu fasses le moins de déclarations possible. Tu n'as à communiquer sur rien. Garde-toi comme de la peste des journalistes qui auraient tôt fait de te fâcher avec la moitié de tes collègues du gouvernement Tu ne dois avoir d'idée politique sur absolument aucun sujet. J'ai dit aucun. Quant à te poser une question, si tu rencontres malencontreusement un journaliste, dis que tu n'as pas le temps et que tu rappelleras. Et, surtout, ne rappelle jamais. Pour les rapports avec la presse, le directeur de cabinet que nous t'avons nommé fera parfaitement bien l'affaire. Aucune déclaration ne t'est autorisée. Appuie-toi sur le porte-parole que je t'ai nommé. Il fera le travail à ta place, surtout pour les soirées électorales. J'espère que tu comprends que c'est parce que j'ai un impérieux besoin de toi que je souhaite que tu t'économises médiatiquement. Comme cela, tu auras une image parfaitement neuve dans huit ou dix ans, quand les événements importants se dérouleront.

Je pense d'ailleurs qu'il n'est nul besoin que tu te fatigues à déposer des projets de loi devant le Parlement. Je ne souhaite en aucun cas que tu te surmènes. C'est, là encore, parfaitement inutile. J'ajoute que c'est une maladie bien française que de trop légiférer. Laisse donc faire tes collègues du gouvernement qui ont des projets plein leurs tiroirs. Laisse-les prendre des risques inconsidérés. Toi, tu seras fin prêt à la fin de mon septennat pour entamer, en pleine forme, mon deuxième. Crois-moi, c'est stratégiquement beaucoup plus intelligent. Tu vas donc les épater par ton silence. Eh bien, c'est cela qui compte !

Ah, J'allais oublier, s'agissant des questions d'actualité du mercredi, j'ai constaté en regardant la télévision que les parlementaires de l'opposition et ceux de la majorité qui ne nous aiment pas (et tu sais qu'ils sont nombreux !) prenaient un malin plaisir à t'interroger chaque semaine. Ils se croient intelli­gents. Je dois dire qu'à chaque fois tu t'en es sorti le mieux possible. J'ai même pu constater que, parfois, il y avait plus d'applaudissements que de quolibets. Mais, mon cher Jean-Louis, tu ne vas pas continuer ainsi à les honorer en répondant toi-même. Je te rappelle que nous n'avons pas été élus pour leur faire plaisir. Je te suggère donc de t'abstenir de répondre aux questions d'actualité jusqu'aux prochaines législatives de 1998. Ça leur fera les pieds ! Ils seront bien punis de ne plus avoir la chance de t'entendre leur répondre. Crois-moi, ils comprendront vite la leçon. Quant à toi, tu te fatigueras moins. Tu pourras même te reposer chaque mercredi, ce qui te fera le plus grand bien. D'ailleurs, en te voyant l'autre jour au Conseil des ministres, je t'ai trouvé bien pâle ; je me demande s'il ne serait pas judicieux que tu prennes enfin de véritables vacances. Le moins que l'on puisse dire, c'est que tu les auras bien méritées. Je te conseille de les prendre à la rentrée, par exemple de septembre à décembre. Crois-en ma vieille expérience, je sais bien qu'elle sera tranquille comme Baptiste, la rentrée. Ce sera difficile de se passer de toi mais, comme l'actualité sera bien peu fertile en événements, nous nous en sortirons. En revanche, reste bien à ton poste durant le mois d'août, on ne sait jamais ce qui peut encore se passer.

Ne t'inquiète pas pour ton courrier, j'ai mis en place un système qui passe directement par mon conseiller pour les affaires de police. Tu n'as pas à t'en préoccuper. Il est inutile que l'on t'embête en te le montrant. Tu n'as plus à te tracasser avec ces détails. Je n'ai finalement que deux choses à te demander : la première, c'est de veiller à ce que l'on diminue très sensiblement le le nombre des fonctionnaires de police qui stationnent près de l'Élysée pour en assurer la surveillance. C'est parfaitement inutile et sur­tout, ça énerve nos compatriotes qui pensent à juste titre, qu'ils seraient mieux utilisés ailleurs. Je compte sur toi pour que les consignes nécessaires soient données avec sévérité. Ma seconde préoccupation concerne l'immigration clandestine. Je te demande de signer l'instruction que t'ont préparée tes services afin de multiplier et de durcir nos contrôles. On me dit que ce document est sur ton bureau depuis plusieurs semaines. Je te demande de le signer dès réception de la présente afin que, sans délai là encore, mes ordres soient appliqués. Exécute donc au mieux ces deux importantes missions de confiance et tu auras fait plus que ton devoir pour les années à venir. La République aura bien mérité de toi et toi, tu auras bien mérité d'elle. Ah, si seulement je pouvais te décorer ! Crois-moi, je le ferais sans hésiter mais, comme tu le sais, pour cela, il faut que tu ne sois plus ministre. Bien sûr, il n'en est pas question aujourd'hui - nous ne pourrions nous passer de toi - mais tu devrais quand même y penser pour un de ces jours. A un certain âge, ne pas avoir de décoration à la boutonnière, c'est suspect. Et je ne voudrais en aucun cas que ton image put souffrir le moins du monde de cette absence. Enfin, rien ne presse. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler à ton retour de vacances, en décembre. Il sera alors toujours temps d'aviser. Les choses seront moins compliquées. J'aurai eu l'occasion de penser à un nouveau ministre de l'Intérieur. Et, bien sûr, si tu le souhaites, nous pourrions tranquillement fixer la date de la réception pour que je te remette moi-même les insignes de chevalier de l'Ordre du mérite. Je peux te dire que ce sera un jour bienheureux pour moi, même s'il sera attristé par la perspective si pénible et si préoccupante de te voir quitter le gouvernement.

Crois, mon cher Jean-louis, en l'assurance de toute ma confiance. Pour maintenant, et surtout, pour demain.

 

Jacques Chirac

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Réponse de Jean-Louis Debré à Jacques Chirac

Monsieur le Président de la République,

Si vous saviez comme j'ai été ému à la réception de votre correspondance ! Je crois même que j'en ai pleuré de joie. Mettez-vous un peu à ma place : c'est ma première expérience ministérielle et, de surcroît, à un poste aussi important. Je doutais de mes capacités à réussir. Qui n'aurait pas douté ! Alors, recevoir une telle lettre de félicitations, en plus du président, et en plus quand c'est vous ! Ah, oui alors, j'ai été ému, heureux et fier ! Vous savez, j'étais fier d'être votre ami quand vous n'étiez rien, alors imaginez un peu maintenant que vous êtes président ! D'ailleurs, j'ai demandé aux Renseignements généraux de donner copie de votre lettre à deux ou trois journalistes particulière­ment bien choisis. Comme cela, je respecterai à la lettre vos instructions : je ne verrai pas moi-même les représentants de la presse mais je les ferai voir. Je suis certain que, une fois encore, vous apprécierez mon habileté et ma finesse politique. Si, cependant, vous souhaitiez que j'en fasse davantage, je serais ravi de le faire sous la forme d'une déclaration vidéo que je pourrais adresser à toutes les télévisions. Là encore, je n'aurais pas vu de journalistes, mais eux m'auraient vu. Finalement, c'est ce qui compte. Si vous le désiriez, je pourrais même donner des conseils de communication à mes collègues du gouvernement. Par discrétion, je ne vous ai pas encore parlé, mais la faiblesse de certains m'inquiète beaucoup. Tout au moins peut-être faudrait-il qu'à l'occasion je vienne les renforcer. Je suis certain qu'ils ne m'en tiendraient pas rigueur car ils me considèrent tous un peu comme leur grand frère. Je sais bien que c'est parce qu'ils connaissent la confiance totale dont vous m'honorez.

Pour les vacances, je reconnais bien là votre sensibilité personnelle et votre attention aux autres. J'avais bien pensé partir me reposer mais, lorsque j'ai reçu votre lettre, je me suis dit que je n'avais pas le droit de faire une chose pareille. En tout cas, certainement pas à vous. J'ai parfaitement senti entre les lignes l'inquiétude sourde qui était la vôtre à la seule idée que je déserte mon poste, ne serait-ce que pour quelques jours. Ne vous faites donc aucun souci, je serai là en août, comme vous me l'avez demandé, et à l'automne, comme vous me l'avez si pudiquement suggéré. Quant aux deux missions que vous m'avez confiées, vous pensez bien que je vais me faire un sacré devoir de les faire exécuter, et prestement encore! J'ai une idée pour la garde de l'Élysée. Vous avez, comme toujours, raison : c'est l'hypocrisie qui agace nos compa­triotes. Ils en ont assez soupé avec Balladur et ses sbires. J'ai donc demandé que tous les cars de gendarmes mobiles qui étaient sournoisement cachés derrière l'Élysée soient ramenés rue du Faubourg-Saint-Honoré, devant le porche d'hon­neur du palais. Au moins, comme cela, les choses seront claires et nettes. Le pays saura pourquoi ils sont là : pour votre sécurité. Je suis certain que nos compatriotes apprécieront.

Quant à l'immigration, il est vrai que j'ai tardé à signer cette circulaire. C'est que je n'ai toujours pas compris pourquoi la police de l'air et des frontières s'obstine à refuser de veiller à mes ordres. Je leur ai en effet demandé de renforcer nos effectifs à la frontière que nous avons en commun avec la Hollande, le Danemark et la Norvège. Je suis en effet très préoccupé par l'importance du trafic de drogue en provenance de ces trois pays. C'est un grand malheur pour la France d'être limitrophe ! Avec votre autorisation, je n'ai pas l'intention de céder. Je tiendrai donc le temps qu'il faudra, mais j'obtiendrai satisfaction. Après votre magnifique élection, ce ne sont tout de même pas ces « quarterons de technocrates » qui vont faire la loi ! Vous voyez que j'ai conservé mes références gaullistes.

Voilà, Monsieur le Président de la République, je suis dans une forme absolument étincelante. Votre lettre m'a parfaitement requinqué ; je suis certain qu'elle était faite pour cela. J'ai bien l'intention de ne pas vous décevoir. Je vais donc multiplier les initiatives, comme vous me l'avez suggéré. Enfin, j'ai été particulièrement touché par votre volonté de me remettre la Légion d'honneur mais cela me gêne. J'ai peur que les gens pensent que je profite de mes fonctions de ministre de l'Intérieur pour recevoir cette prestigieuse décoration. Pour la première fois de ma vie, je suis donc conduit â vous dire non. Je suis certain que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Votre fidèle, dévoué et actif comme jamais,

Jean-Louis Debré

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