20 décembre 2005
Lettres de mon chateau : 10 - Signé Jacques Chirac
Pour en savoir plus sur les lettres de mon chateau de Sarkozy (alias Mazarin)
Note à Jacques Pilhan et Claude
Chirac
J'ai parfaitement conscience que la
rentrée sera particulièrement difficile. Après s'être acharnée sur mon Premier
ministre, l'avoir déstabilisé, et être en voie de l'achever, la presse va bien
finir par s'intéresser à moi. L'état de grâce présidentiel ne survivra pas à
l'été. J'en suis absolument convaincu. Croyez-en mon expérience, les
cataclysmes arriveront de tous les côtés. Il est même possible que les
balladuriens retrouvent quelques couleurs. C'est dire que tout est possible. Il
nous faut donc nous préparer à cette période de gros temps et prendre les
mesures d'organisation indispensables afin d'être le moins possible pris au
dépourvu. Je vous demande donc de veiller avec attention à ce que mes consignes
soient appliquées à la lettre. Si vous rencontrez des difficultés, n'hésitez
pas à m'en informer. Dans la seconde, je saurai être impitoyable, si
nécessaire.
Premier point : les affaires de la
mairie de Paris produisent un effet absolument déplorable dans l'opinion. Il
convient qu'en aucun cas mon nom ne s'y trouve mêlé. Ce n'est d'ailleurs que
justice, puisque voilà des années que je ne m'en occupe absolument plus. J'ai
eu le tort à l'époque de laisser Tiberi, Romani et Dominati, les trois Corses,
régenter le tout. Beau résultat ! Je suis en droit d'attendre qu'ils s'assurent
que l'on ne m'ennuie pas avec toutes ces affaires médiocres. J'ai cependant les
plus grandes craintes, quant à leur capacité à gérer leur communication. Il n'y
a d'ailleurs qu'à voir comment les dossiers sensibles se retrouvent dans la
presse. Il se peut qu'ils vous demandent de l'aide et des conseils. Je vous
interdis de le faire ; cela ne servirait à rien, si ce n'est à nous y
embarquer. Il conviendra de faire comme Villepin a commencé à le dire :
encourager la presse à faire son travail d'investigation. Oui, parfaitement,
les encourager. Tant qu'ils s'occuperont de la mairie de Paris, ils ne
s'occuperont pas de moi. Veillez dans le même temps à gommer de ma notice biographique
dans le « Who's Who » la mention qui a été faite de ma présence à la tête de la
municipalité parisienne. Après tout, cela n'a duré que quelques années et
c'était déjà il y a trois mois. Il y a de bonnes chances pour que tout le monde
ait déjà oublié. N'oubliez jamais qu'en matière de communication politique,
plus c'est gros, mieux ça passe. Inutile de se compliquer la vie avec des
règles trop élaborées. Mieux vaut s'en tenir à de bonnes vieilles habitudes qui
ont déjà fait leurs preuves. Je vous signale, Jacques, que c'est ainsi que j'ai
été constamment réélu, dans ma circonscription du plateau des Millevaches
depuis 1967. Ce n'est pas rien, tout de même ! Et puis, mettez-vous dans la
tête que ce n'est plus François Mitterrand le président de la République. Il
était vieux, je suis encore jeune ; il était pervers, je suis simple ; il était
torturé, je suis zen !
Deuxième point : dans vos contacts
avec les journalistes, vous devez systématiquement privilégier les plus jeunes,
les moins expérimentés, et les moins titrés. Ils seront flattés que vous les
traitiez ainsi ; vous les formerez à votre main et vous bénéficierez d'un
réseau qui nous sera acquis, et dont l'utilité sera grande lorsque les ennuis
arriveront. Ne perdez surtout pas votre temps avec les éditorialistes. Il n'y a
rien à en tirer, si ce n'est des ennuis.
Ce sont des prétentieux qui croient tout savoir, qui sont coupés de notre
peuple et qui, de ce fait, ne m'ont jamais aimé. Serge July, Alain Duhamel,
Catherine Nay, ou pire encore Jérôme Jaffré se sont toujours trompés sur tout.
Ce sont des nuisibles. Ne leur donnez aucune information. Au besoin, n'hésitez
pas à les humilier. Tout le monde s'en réjouira, surtout leurs confrères.
Faites deux exceptions à ce salutaire principe avec, au « Figaro », Paul
Guilbert et Franz-Olivier Giesbert. Eux au moins connaissent le peuple et me
connaissent. Il convient donc de leur faire confiance. Ils ne trahiront pas. Je
m'en porte garant.
Troisième point : je vous demande de
voir tous les jours mon brave huissier José. Il faut l'écouter ; il vaut
beaucoup mieux que tous les panels de BVA. A ma demande, il va chaque jour dans
un bistrot différent ; le temps qu'il ait cuvé sa boisson du jour, croyez-moi,
c'est sa pêche qui est la bonne. Grâce à lui, j'en sais davantage sur les
réactions du pays profond que tous les rapports que m'adresse ce benêt de
Jean-Louis Debré. Vous veillerez à ce que José soit rémunéré de ses bons et
loyaux services sur l'enveloppe des fonds secrets que je vous ai attribués.
Quatrièmement : vous couperez
définitivement - je dis bien définitivement- toute relation et tout rapport
avec le journal «Le Monde», qui est totalement inféodé à Alain Minc, lequel est
complètement sous l'emprise de la pensée unique. Je fais par ailleurs mon
affaire de casser leur tour de table. Jean-Marie Colombani est bien plus
malfaisant qu'un socialiste, il était balladurien. Il faut donc s'en méfier
comme de la peste. J'attends de voir l'évolution de « Libération » pour fixer
les mêmes règles à son endroit. Quant à la télévision, appuyez-vous au maximum
sur La Cinquième et son président Jean-Marie Cavada. Après tout, ce ne sera que
justice puisqu'il s'agit de la chaîne du savoir. Il est donc naturel qu'elle
sache. Cavada est un véritable professionnel. Rappelez-vous qu'il fut le seul
durant la campagne présidentielle à avoir eu le courage de m'interroger sur mon
goût pour les pommes. Ce n'est pas Elkabbach qui aurait osé le faire ! Il n'y a
rien à en tirer de celui-là. Pensez qu'il a fait un livre avec Balladur, c'est
dire la confiance que l'on peut lui faire !
Cinquièmement : je veux qu'en toute
circonstance l'on mette en avant ma simplicité et ma proximité avec le peuple. Inutile
d'essayer de me faire jouer l'intellectuel. J'ai écrit deux livres durant la
campagne. Après tout, c'est bien suffisant. Pas question que je m'y remette.
D'ailleurs, depuis que nous sommes ici; Christine Albanel n'a plus aucune idée.
On dirait le «ravi » des crèches de mon enfance. Je n'ai donc plus personne
pour écrire et je m'en trouve parfaitement bien. Pas question non plus de me
faire jouer le chien savant dans tous les colloques où l'on m'invite ; ça
m'ennuie à mourir, ça ne sert à rien. Je veux en revanche multiplier les
déplacements en province. J'aime les bains de foule, j'adore serrer les mains,
signer des autographes, embrasser des enfants, célébrer la France éternelle. Je
ne me sens jamais autant moi-même que sur le terrain. Je veux que l'on
m'organise un tour de France tous les deux mois et, quand nous approcherons des
législatives de 1998, nous passerons à un par mois. Je ne m'en remets pas,
voyez-vous, d'avoir dû arrêter la campagne. C'est si bon, la campagne ! Ah,
s'il n'y avait que les campagnes, comme la vie politique serait belle et douce
! Hélas, trois fois hélas, il y a l'élection. Et, pire que cela, les lendemains
d'élection. Mon véritable cauchemar : notez bien que je ne veux plus voir un
seul préfet en uniforme à moins de 100 mètres de moi. Ils sont le symbole honni
d'une élite dont le peuple et moi ne voulons plus entendre parler. Vous
veillerez à ce que le Falcon 900 de la présidence se pose dans tous mes
déplacements à 50 kilomètres de mon point d'arrivée, afin que je n'y apparaisse
qu'en voiture. Je veux que l'on garde ma vieille Citroën ; au besoin, faites la
vieillir par les ateliers de la présidence. Je ne verrai que des avantages à ce
qu'une ou deux rayures soient faites à la carrosserie. J'ai d'ailleurs mon
idée. Balladur a bien fait le coup de l'autostop. J'aimerais que mon pneu crève
sur la route de mon prochain déplacement. Il faudra dire à José de préparer le
cric, je changerai moi-même le pneu. Que Claude prévienne Carreyrou (il est
prêt à tout), cela fera de très bonnes images pour le 20 heures. Sixièmement :
je vous demande de veiller à ce que je ne sois entouré que par des jeunes,
comme au 14 juillet. Mais des vrais jeunes. Pas comme Juppé, Séguin, ou tous
les autres. Même François Baroin fait beaucoup trop vieux. Je veux des vrais
jeunes donc, comme Patrick Bruel, Vincent Lindon, ou même Patrick Sabatier. Après
tout, ce sont eux qui m'ont fait confiance, m'ont soutenu, m'ont aidé. Pour des
raisons biologiques évidentes, ils ne m'ont pas connu dans le passé. Ils ne
savent rien de moi. Ils m'ont découvert en 1995. Il faut que vous en sachiez
profiter. C'est ma clientèle. Je vous demande d'y veiller scrupuleusement.
Septièmement : il convient de rechercher en urgence un endroit où je pourrai
passer mes vacances d'été. Convoquez « Paris-Match pour le reportage habituel.
Le parfait contre-exemple était les photographies de la famille Balladur dans
leur appartement si bourgeoisement aménagé. J'ai quelques idées. Bernadette et
moi pourrions peut-être nous rendre dans la journée dans un gîte rural
aveyronnais. Cela fera tellement plaisir à Jacques Godfrain. Nous pourrions
également nous détendre dans une pension de famille à Mantes-la-Jolie chez
notre compagnon du coin Pierre Bédier. Une fois l'affaire médiatiquement
bouclée, nous filerions à l'étranger. Bien malin celui qui découvrira la
supercherie. A moins que vous ne préfériez que nous laissions filtrer
l'information, selon laquelle j'ai choisi de me reposer chez Line Renaud. Bien
sûr, Rueil-Malmaison, ça ne fait pas très populaire, mais Line Renaud, ça fait
culturel. Douste-Blazy pourra se joindre à nous pour la photographie. Je suis
certain que les véritables artistes et écrivains français y seraient
particulièrement sensibles. Il faudra également me trouver un concert où je
pourrai me rendre. J'ai tellement dit que je détestais la musique qu'il va bien
falloir que je donne des gages. Si vous saviez comme je suis heureux d'être
débarrassé de la mairie de Paris ! J'avais en horreur le football. C'est un
sport de femmelettes qui passent leur temps à se sauter au cou. Ce n'est pas comme le rugby, un véritable sport d'hommes
virils et loyaux. Quand je pense que je devais aller voir le PSG au moins une
ou deux fois chaque année ! Un supplice ! Aujourd'hui encore, j'ignore tout de
ce sport qui m'est totalement hermétique. Même Philippe Séguin a renoncé, c'est
dire !
Huitièmement - j'allais oublier le
plus important : il faut commencer à faire dire, et si possible écrire que le
gouvernement gouverne et que moi, je préside. Je ne suis donc pas engagé par
tout ce qu'il fait, surtout ce qu'il fait mal. J'aimerais que l'on s'abstienne
de me faire prendre en photo aux côtés de MM. Juppé, Millon, de Charette, Debré
et Madelin. De même que les femmes : je souhaite éviter Mmes Hubert, de
Veyrinas. Sudre, de Panafieu et Couderc. Il faudra même me trouver en urgence
deux ou trois domaines où je puisse clairement montrer la distance qui existe
entre ce gouvernement et moi. Je n'ai pas compris pourquoi ils ont eu cette
idée curieuse d'augmenter les impôts. Comment ils ont bien pu s'y prendre pour
s'embourber en Bosnie, et pour quelles raisons ils ont tous la maladie de
s'entourer de technocrates. Tiens, à ce train-là, je vais finir par avoir de la
considération pour Jean-Jacques de Peretti. Au moins, lui, il ne fait rien, ça
lui évite de dire et de faire des conneries. Si les autres pouvaient en faire
autant, on aurait une petite chance de s'en sortir ! Quant à toi, Claude, je te
demande d'apprendre aux côtés de Jacques Pilhan. Écoute, applique-toi,
imbibe-toi de sa science qui est grande et qui m'est totalement étrangère. Un
jour, je l'espère, tu pourras assumer seule à mes côtés cette tâche que je t'ai
confiée. Quant à vous, Jacques, veillez sur Claude, elle est ce que j'ai de
plus cher au monde, elle est votre sauvegarde à mes côtés. N'oubliez jamais que
chez nous les gaullistes, on chasse en bande comme des loups et l'on se déchire
comme des chiens. Méfiez-vous, c'est bien pire qu'au Parti socialiste.
Jacques Chirac