Lettres de mon chateau : 2 - A l’attention de François Mitterrand
Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy
Monsieur
le Président et cher François,
J’espère
que vous ne me tiendrez pas rigueur de cette familiarité. J’ai bien conscience
que vous appeler par votre prénom peut vous paraître bien incongru. Je sais que
vous détestez la familiarité et que vous avez tout fait pour cultiver
l’éloignement entre l’univers et votre personne. Moi c’est tout le
contraire ; je tutoie tout le monde sauf Bernadette que je vouvoie. Ca
doit forcément vouloir dire quelque chose. Même si je serais bien en peine de
l’analyser. D’ailleurs, il n’est rien que je déteste plus que ces phraseurs qui
se perdent en considérations infinies sur le moindre détail. Je n’ai jamais
fait appel à ces pseudo-scientifiques de la Cofremca sans lesquels Valery
Giscard d’Estaing ne fait et ne décide rien. Le pauvre. Il s’est bien longtemps
pris pour un intellectuel. Il n’était qu’un prétentieux. S’il vous plaît, ne
lui répétez point ce jugement, car il me fut bien utile ces dernières semaines,
et je ne voudrais pas passer pour un ingrat.
Bref,
vous appeler par votre prénom me procure une sorte d’ivresse. J’ai l’impression
aussi d’appartenir au cercle si rare de vos intimes, de vos proches, de ceux
qui peuvent se permettre de s’adresser à vous comme à un ami, plutôt qu’à un
égal. C’est ma façon de réaliser que je suis désormais à votre place. Ce fut si long, si difficile, si pesant que
j’ai du mal encore aujourd’hui à y croire. Bien sur, il y a Roger Romani qui me
donne du « monsieur le Président de la République » autant que j’en
ai envie. Mais ce n’est que lui. Quelle importance voulez vous que j’y
attache ? Chacun son Pierre Berger. Alors votre lettre m’a bien aidé.
Connaissant votre hauteur de vue et votre vraie générosité, je ne doute pas que
vous l’ayez fait à dessein. Si vous trouvez quelques plaisir à poursuivre cet
échange épistolaire appelez moi Jacques. J’y verrais la marque, que j’espère
définitive de votre considération.
Et
puis cela me fait tellement de bien de pouvoir écrire ! C’est un plaisir
que j’ai découvert sur le tard. Jusqu'à soixante-deux ans, rien. Pas même la
moindre petite ligne. Et puis, tout d’un coup, ce fut la révélation. C’est
Jean-Michel Goudard qui m’a ouvert les yeux. Son diagnostic était sans appel.
Les Français ne regardent que la télévision, mais ne respectent que la
littérature. Moins ils lisent, plus ils considèrent les écrivains. Pour être
pris au sérieux, il fallait que j’écrive. Et puis ça ne devait pas être aussi
difficile que ça, puisque ce prétentieux d’Edouard Balladur arrive à en publier
un par an. Remarquez que lorsque nous étions amis, il me les adressait
régulièrement. Je me suis toujours contenté de lire les dédicaces. Aller plus
loin m’était impossible, trop sérieux et trop ennuyeux. D’ailleurs la lecture,
ça n’était pas mon fort, mis à part l’histoire des Celtes ou la poésie chinoise.
C’est aride et cela présente l’immense avantage que l’on est rarement
contredit. Je peux ainsi paraître bien savant à bon compte Remarquez, j’ai peu
à impressionner car je déteste les dîners en ville. Un bon western devant sa
télévision avec ses pantoufles, c’est tout de même plus agréable que ces
rasoirs qui ont des idées sur tout, spécialement lorsqu’il s’agit des chefs
d’entreprise. Et encore plus lorsqu’ils sont membres du CNPF. J’aime mieux
avoir à ma table Marc Blondel. Avec lui, au moins on ne risque pas de se perdre
dans des considérations trop intellectuelles !
C’est
donc Jean-Michel Goudard qui a eu cette idée géniale de me faire découvrir
l’écriture. Il l’a expliqué à Claude, puis Claude m’a demandé de me mettre au
travail. François Pinault, vous savez ce patron qui est de mes amis, m’a loué
une maison près de Montfort-l’Amaury et le tour était joué. J’ai commencé à
écrire. Certes j’y ai été prudemment : 142 pages. Mais pour un débutant,
ce n’est pas rien… D’ailleurs j’ai aimé, puisque cela m’a permis d’être élu. Je
recommencerai donc pour le prochain septennat. Dans l’intervalle, je me
contenterai de vous écrire. Un jour peut être, on publiera nos correspondances.
Je serai alors définitivement entré dans la cour des écrivains ou tout du moins
des intellectuels. Ceux-là, je ne suis pas près de leur pardonner. Ils m’ont si souvent moqué ! Les voir se
prosterner aujourd’hui me procure un plaisir immense. Je sais que vous aimez
Proust, Chateaubriand, et que vous reconnaissez un immense talent à Céline. Je
n’ai pas vos goûts. Je préfère Denis Tillinac, un remarquable écrivain
corrézien, ou même Franz-Olivier Giesbert. Ils ont tant fait pour mon élection.
C’est un juste retour des choses que je privilégie leurs œuvres. Souvent ils
viennent me voir en compagnie de mon vieil ami de Sciences po, Paul Guilbert,
la meilleure plume du « Figaro ». Ils me parlent des Français et de
leurs attentes, de leurs rêves. Ils me disent ce qui va, ce qui ne va pas. Ils
sont sévères, mais tellement justes à la fois. Ils n’oublient jamais un
compliment et, jusqu’à présent, ne trouvent aucune critique. Je redoute le jour
où cela viendra. Ils me mettent en garde contre Juppé. Je crois qu’ils
exagèrent, mais il est vrai cependant qu’à deux ou trois reprises j’ai du me
fâcher contre lui. Pour le punir, c’est très simple, il suffit que je voie
Philippe Seguin. C’est deux-là se détestent tant et depuis si longtemps !
Du coup, j’ai décidé de déjeuner tous les mardis avec Séguin. Ce jour là au
moins, je suis certain que Juppé ne déjeunera pas de bon appétit. Tout
l’après-midi, il est pendu au téléphone de Villepin pour qu’il lui raconte
notre conversation. Celui-là ne sait rien car je me fais un malin plaisir à le
lui cacher. Il fut le directeur du cabinet de Juppé alors !
Vous
le voyez, la vie à l’Elysée a repris. Certes, il y a encore beaucoup de bureaux
qui sont vides car je souhaite donner l’impression de la simplicité et de
l’économie. Et puis un jour, je devrai bien, quand les ennuis seront là, faire
venir d’autres collaborateurs, peut être même des balladuriens. Sait-on jamais,
quand les miens seront trop usés, il faudra bien en trouver d’autres. Après deux
ans sans rien, ils seront prêts à accepter n’importe quoi. Oui, vraiment, vous
écrire est un bonheur. Et puis, à qui d’autre que vous pourrais-je le faire ?
Pour téléphoner, c’est facile, je le fais sans cesse. On téléphone à n’importe
qui pour n’importe quoi, n’importe comment ; ça sonne, on parle, on
raccroche, et puis c’est fini. On n’y pense plus. Il n’y a ni trace, ni effort.
Alors que la lettre, cela reste. Me voyez-vous écrire à Pons ? C’est
Pasqua en pire et sans accent ! Dieu sait ce qu’il ferait de ma lettre. A
Jean-Louis Debré ? il serait affolé. Pensez, une lettre de moi ! Déjà
lorsque je lui téléphone il est au garde-à-vous. La police a déjà déteint sur
lui. A Millon ? Oui, cela m’éviterait de l’entendre. C’est un avantage. Si
vous saviez comme il est bavard, et pour dire si peu ! Il y a bien
Madelin, mais lui, c’est tout le contraire, il a tout lu et tout retenu, mais
hélas souvent à l’envers. C’est une vraie migraine à lui tout seul. Quant à
Edouard Balladur, nous ne parlons plus. Je ne veux plus le voir ! Alors,
lui écrire, je le connais, il serait capable de me dire que j’écris mal. Il ne
savait me faire que des reproches. J’avais fini par douter.
Oui,
à la réflexion, il n’y a que vous, François, de président à président :
c’est une véritable correspondance. Mais je m’aperçois que j’ai oublié de vous
avertir que j’ai changé, et même rompu avec l’une de vos habitudes. Il faut
dire qu’elle était bien détestable. Lors du Conseil des ministres, vous ne
serriez la main à personne. Tout juste m’a-t-on dit, que vous tendiez une main
molle à vos deux voisins. Sous Balladur, il y avait Méhaignerie à votre gauche,
cela faisait l’affaire ; moi j’ai Bayrou, ce n’est guère mieux. Il n’y a
que sa poignée de main qui fasse illusion à celui là ! Balladur avait fini
par vous suivre. C’est bien dans sa nature. Eh bien j’ai décidé que les choses
allaient changer, et dans le bon sens encore. Désormais, je serre les mains de
tous mes ministres. Dans mon enthousiasme, il m’arrive même de le faire deux fois.
Cela n’a aucune importance, il faut voir comment Raoult rosit de plaisir. On
dirait Obélix devant un sanglier ! Je les salue tout de même.
Douste-Blazy, c’est seulement un peu plus long avec lui car il à toujours un
compliment à me faire. Celui-ci, c’est ma garde rapprochée à lui tout seul. Il
y a aussi Barnier, un ancien Balladurien, qui trouve toujours que je ne parle
pas assez de questions sociétales. Il est aussi triste que son ancien patron.
C’est bien fait, il a été rétrogradé. Il n’est plus que ministre délégué. Je
l’ai mis derrière Peretti, c’est dire qu’il n’y avait plus beaucoup de place.
Juste
un dernier mot en forme de supplique : la rumeur est venue que vous teniez
rigueur à Jacques Pilhan de s’être promu à mon service avec tant d’empressement.
C’est injuste car ce n’est pas une trahison de sa part. Je me suis seulement contenté
de doubler ses émoluments. Vous ne pouvez donc pas lui en vouloir. Il travaille
pour moi plus cher que pour vous. L’ordre naturel des choses est donc préservé.
La morale est sauve. Il m’aime moins que vous, il me coûte plus cher. Il est
donc resté fidèle à sa manière. J’espère simplement qu’il me sera aussi utile
car, s’il fallait le changer lui aussi, je serais bien dans l’embarras. Il ne
me resterait que Séguéla : il a déjà tellement servi !
Voilà,
mon cher François, ce que je voulais vous dire en quelques mots. J’ai pu
soulager mon cœur, vous parler sans précaution, comme un président peut le
faire à un autre président.
Vôtre,
Jacques
Chirac
Post-scriptum :
N’en voulez surtout à Bernadette qui a absolument tenu à ce que l’on change la
décoration des appartements privés de l’Elysée. Ce n’était pas qu’elle n’aimait
pas votre goût, mais elle n’arrive pas à abandonner nos appartements privés de l’Hôtel
de Ville. Ne le répétez pas, ce n’est pas le moment avec toutes ses histoires
de HLM, mais ils font 1.800 mètres carrés, c'est-à-dire dix fois l’appartement
de Juppé qui n’est déjà pas si mal ! Alors, pour elle, se retrouver à
l’Elysée c’est dur. Pour votre bureau, c’est moi qui en assume la paternité. Je
ne pouvais supporter cette couleur bleu salle de bains, et puis, reprendre le
bureau du général de Gaulle, cela s’imposait. Vous savez, François, les
symboles, cela compte pour moi aussi.