Lettres de mon chateau : 19 - Signé François Bayrou
Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy
Lettre 19 – Signé François Bayrou
Monsieur le Président de la République,
Devant les multiples tentatives de division de
la majorité présidentielle, j’ai décidé de prendre un certain nombre d’initiatives
politiques qui me semblent particulièrement bien venues. Puisque la plus grande
partie de vos ministres ont choisi de se taire ou de partir en vacances, je vais
donc me porter sur le devant de la scène. Bien sûr, il me faudra brusquer ma
nature mais l’enjeu en vaut largement la peine. Permettez-moi de vous suggérer,
Monsieur le Président de la République, de reprendre d’urgence votre majorité
en main. Malgré toute sa bonne volonté, Alain Juppé est hors d’état de le
faire. Le pauvre a pris tellement de coups et assumé avec un tel courage de si
nombreuses épreuves qu’il ne peut plus, hélas, vous être de la moindre utilité
en la matière. C’est bien malheureux, mais c’est ainsi. Quant à Hervé de
Charrette et Charles Pasqua, nous ne pouvons aucunement compter sur eux. Ils
seraient certes prêts à nous aider, mais à quoi bon, leur tentative de mainmise
sur l'UDF ayant lamentablement échoué. A la réflexion, il ne reste que moi qui
ai encore une certaine capacité d'initiative et de manœuvre. Je sais par
ailleurs où il convient de porter le fer. Pierre Méhaignerie se pose en leader
de la fronde balladurienne. C'est un comble, alors qu'il n'a jamais été un chef
et qu'il fut le dernier des balladuriens. En ma qualité de président du CDS,
j'entends donc le remettre sur le bon chemin. Et avec brutalité encore. Je ne
peux accepter ses attaques répétées contre vous et notre gouvernement. J'ajoute
que ma qualité d'ancien balladurien me donnera une grande autorité et une parfaite
légitimité pour engager cette véritable action de police. Vous n'avez pas à
vous inquiéter, j'ai tous les moyens pour mener à bien cette opération. Au
besoin, je me ferai aider par Philippe Douste-Blazy dont le sens
politique n'a plus à être démontré et qui a su, dans un passé récent, montrer
de très réelles qualités d'adaptation. Je vous prie de croire, Monsieur le Président
de la République, en l'assurance de mes sentiments toujours aussi chiraquiens.
François Bayrou
PS. : Par correction vis-à-vis de Pierre Méhaignerie,
je ne vous communique pas la teneur de la lettre que je vais lui adresser, mais
je vous prie de croire que le ton que j'ai employé n'était pas des plus amènes.
Je crois même pouvoir dire qu'il était franchement brutal. Mon interlocuteur
aura certainement bien du mal à s'en remettre. Quant au fond des choses, j'ai été
encore plus ferme et déterminé que sur la forme. Je lui ai notamment indiqué très
clairement qu'à continuer ainsi il risquait de perdre la présidence de la
commission des Finances, poste auquel il tient tout particulièrement. J'ai
vraiment été heureux, Monsieur le Président de la République, de pouvoir vous démontrer,
en cette période si difficile pour vous, ma capacité à agir et ma détermination
à vous servir. J'espère de tout cœur que vous y serez sensible. Peut-être même
cela vous donnera-t-il quelques idées au moment où, bien à contrecœur, vous
serez obligé de lâcher Juppé et qu'il vous faudra trouver alors un homme qui
ait largement fait ses preuves et en qui vous aurez une très réelle confiance.
S'il le fallait, je serais également prêt à vous rendre ce service moi-même
bien que vous ayez noté que cela ne m'enthousiasme guère. Je n'ai jamais été de
ces quadragénaires fanatiques de leurs ambitions et de leur petite personne.
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Signé Philippe Douste-Blazy
Monsieur le Président de la République,
C'est bien à contrecoeur que je me décide à vous
écrire. Non que je n'aie pas envie de le faire, ni bien entendu que je n'en
ressente l'insigne honneur. Tous les jours, j'éprouve l'envie furieuse de vous écrire,
de vous parler, pour vous dire combien je suis admiratif de votre action et de
votre personne. Depuis trois mois que vous êtes président, vous faites un véritable
sans-faute. Les témoignages que j'en reçois sont multiples et parfaitement
concordants. Le pays est littéralement ébloui par vos déclarations, par votre
action et par votre détermination. Dois-je vous avouer que je le suis plus
encore. C'est normal, moi qui ai connu la période qui vous a précédé. Je puis
dire sans flagornerie qu'elle est sans commune mesure à votre avantage Mais ce
n'est pas pour vous complimenter que j'ai pris la plume, quelle que soit par
ailleurs l'envie qui m'étreignait. Non, si je vous écris, c'est parce que je
suis choqué de l'attitude de certains de vos ministres à votre endroit. Ce
n'est pas parce que François Bayrou est mon président du CDS et mon ami que je
dois m'abstenir de dire ce que je pense de son attitude et de vous en informer.
Ma nature m'a toujours porté à la plus grande franchise et à la parfaite
rectitude. Je ne sais donc ce que Bayrou vous a dit de la lettre qu'il a adressée
à Pierre Méhaignerie, je sais en revanche ce qu'il y a dans cette lettre. Je
doute que les intentions déclarées et la réalisation effective soient de la même
eau. J'ai pu me procurer une copie de cette missive. Je me fais un devoir de
vous la communiquer pour que vous soyez parfaitement informé de la réalité de
la situation et que vous puissiez juger de la qualité des hommes.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de
la République, en l'assurance de mes sentiments toujours aussi chiraquiens.
Philippe Douste-Blazy
P.S. : Vous trouverez donc ci-joint la copie de la
lettre qu'a adressée Bayrou à Méhaignerie. Si vous en tiriez des conséquences
rapides, peut-être puis-je me permettre de vous signaler que je connais bien
les dossiers de l'Éducation nationale, ma qualité de professeur de médecine m'a
permis, depuis bien longtemps, de réfléchir aux affaires de l'université. Je
vous le dis en passant, car, comme vous aviez pu vous en apercevoir à de
nombreuses reprises, je n'ai jamais nourri de réelles ambitions si ce n'est
celle que j'ai toujours éprouvée pour vous.
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Copie de la lettre de François Bayrou à Pierre
Méhaignerie
Mon cher Pierre,
Si tu savais comme il est bien
difficile pour moi de te succéder à la présidence du CDS. Tu avais si profondément
marqué de ton empreinte ce poste que j'avoue avoir bien du mal à y porter ma
marque. Tu sais que je n'ai pas l'habitude de pécher par excès de modestie mais
je dois bien reconnaître la réalité telle qu'elle est : tu as été un grand président
du CDS. Note bien que cela me procure un bien réel plaisir de te le dire. Notre
famille politique te doit tout. Il est légitime qu'étant ton successeur je te
rende les honneurs et les mérites auxquels ton statut te donne légitimement
droit. Ce n'est que justice. En te disant cela, je ne fais que mon devoir le
plus élémentaire. Depuis que tu as quitté le gouvernement, tu ne peux savoir
combien tu me manques. Pas une seule journée sans que je ne pense à toi. Quel
plaisir et en même temps quel soulagement c'était pour moi de savoir que, à la
première difficulté, je pouvais passer te voir place Vendôme pour te confier
mes petits et mes grands soucis. Oui, tu me manques, car j'aurais besoin de
pouvoir consulter le sage que tu as toujours été. Ici, l'ambiance est bien
morose il n'y a aucune solidarité entre les ministres. Ils sont tous tétanisés par
la peur de commettre la moindre gaffe D'ailleurs, Juppé n'attend que cela : à
la première occasion, il exécutera les mauvais et, tu peux me croire, sans le moindre
état d'âme. Même entre les ministres CDS, la bagarre fait rage. Barrot, comme à
son habitude, joue personnel. Il me déteste, car je suis plus jeune que lui.
Mais franchement, mon cher Pierre, ce n'est tout de même pas de ma faute. Quant
à Douste-Blazy, n'en parlons même pas. Il me soutient aujourd'hui comme il a
soutenu Bosson hier et toi avant-hier. C'est-à-dire qu'il agit comme la corde
qui tient le pendu. Je ne te fais pas de dessin. Tu le connais comme moi
puisque nous avons été assez bêtes pour le faire entrer. Au moins, unissons nos
efforts pour le faire sortir. Quant au Premier ministre, on ne peut dire un
mot. D'abord, il n'a jamais le temps et, ensuite, il se méfie de
moi comme de la peste. Il pense que je veux sa place. Il se trompe, il n'a même
pas compris que c'est celle de Chirac qui m'intéresse. Juppé, quand il me
rencontre, n'a qu'une seule idée en tête : où en est le référendum sur l'Éducation
nationale que Jacques Chirac a promis durant se campagne ? Tu te rends compte,
je suis certain qu'il veut m'humilier. Avec tout ce que j'ai dit sur ce maudit
référendum qui est d'une rare bêtise. Et de surcroît, il va falloir que je
l'organise. Un cauchemar. J'ai bien essayé de gagner du temps Rien à faire. On
dirait qu'ils y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux. J'ai même tenté
d'envoyer mon secrétaire d'État, Françoise Hostalier, peine perdue. Comme
toujours, tu as bien fait d'émettre des réserves sur l'affaire des essais nucléaires.
Ils pensaient, les inconscients, qu'ils n'auraient à affronter que deux ou
trois jours de grogne au-delà de nos frontières. Ils n'ont même pas vu qu'ils
allumaient un fameux incendie en France même. Que les jeunes, dont le prétendu
soutien les rend si fiers, vont immédiatement se retourner contre nous. Chirac
va même jusqu'à se glorifier de cette décision qu'il prétend irrévocable. Le
pauvre croit que cela pose de dire ça. Tu as vu les derniers sondages, il perd
dix points. Quand je pense qu'il m'a dit : « Tu as vu, François, cela change
d'avec l'indécision de Balladur. » Tu parles si cela change. D'ailleurs,
parlons-en de Balladur. J'ai un grand service à te demander. J'ai l'impression
qu'il m'en veut. Tu peux compter sur Léotard et Sarkozy pour en rajouter.
J'aimerais tellement qu'il accepte de me recevoir. Bien sûr, il conviendra de
prendre quelques précautions. Inutile d'exagérer, il suffira de prendre le
temps de se voir dans un endroit discret. J'espère que tu ne m'en voudras pas
de terminer cette lettre qui est d'abord un geste d'amitié par une bien modeste
supplique. Je sais bien que le groupe parlementaire du CDS est, comme toi, de fort
méchante humeur contre le gouvernement. Le sommet européen de Cannes fut, malgré
les agitations du président, un ratage sans précédent. Cela n'a évidemment rien
arrangé vis-à-vis du groupe. Mais si tu continues à critiquer aussi violemment
l'action du président et du Premier ministre, tu risques de compromettre mes
chances d'être un jour Premier ministre. Tu sais ce n'est pas pour moi que je
le dis. Finalement, mon sort est de bien peu d'importance. C'est pour notre
famille politique qui attend depuis si longtemps que l'un des siens aille à
Matignon. Reconnais que ce serait pour toi, qui a tant fait pour chacun de
nous, un bien grand jour. Eh bien, figure-toi que c'est pour te faire cette
joie que j'ai envie de réussir ce projet. On peut faire de la politique et
avoir des sentiments profonds. C'est mon cas. C'est pourquoi j'ose te demander
de mettre un petit bémol à tes critiques, juste le temps que tout le monde
parte en vacances. A la rentrée, tu pourras reprendre de plus belle. Crois-moi,
ce ne sont pas les occasions qui vont te manquer. Car s'ils ont déjà fait des
erreurs, ce n'est rien en comparaison de celles qu'ils s'apprêtent à commettre.
Ils sont si certains d'avoir raison que l'on peut craindre le pire sans aucun
risque d'être déçu. Crois, mon cher Pierre, en ma toujours si vivante amitié et
ma toujours vibrante reconnaissance pour ce que tu as fait pour moi et pour
tous les nôtres.
François Bayrou