Lettres de mon chateau 12 - De Valéry Giscard d'Estaing à Jacques Chirac
La lettre qui égratigne fortement Bayrou au passage
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Monsieur le Président de la République et cher ami,
Je souhaite vous adresser mes sincères félicitations pour votre élection à la présidence de la République. Ce fut un
combat long, difficile, ardu. J'ai admiré
la façon dont vous
avez su surmonter toutes les épreuves
et toutes les embûches.
Vous l'avez fait à
votre manière,
c'est-à-dire avec
une force brutale qui m'a toujours fait défaut. Avec une ténacité
qui vous est familière
et qui vous a permis de compenser le manque de brio dont vous êtes le premier à reconnaître que c'est votre faiblesse.
Avec une certitude personnelle qui a impressionné vos amis comme vos adversaires. Certes, je
reconnais bien volontiers que j'ai tardé
à vous écrire. Mais que
voulez-vous, la période
ne fut pas des plus heureuses pour moi. J'ai d'abord dû faire mon deuil de ma propre candidature. Je ne vous cache pas que cela fut particulièrement douloureux. J'étais persuadé que mon projet était le meilleur pour la
France, que mes idées
étaient les plus
adaptées à la situation du pays,
que mes propositions étaient
les plus modernes. Je vous avoue que ce
n'est pas la campagne qui m'a fait changé
d'avis. Je n'ai pas été impressionné, c'est le moins que
l'on puisse dire, par la qualité
des arguments qui ont été échangés.
Cette campagne fut l'une des plus mornes à laquelle il m'a été
donné d'assister.
Aucun des grands sujets du moment
n'a été traité convenablement. Rien
d'intelligible ne fut dit sur les réformes
des institutions européennes.
Pas davantage sur nos relations avec l'Allemagne. Quant aux propositions qui
ont été faites pour lutter
contre le chômage,
je préfère m'abstenir de les
commenter afin d'éviter
de porter un jugement qui serait trop cruel. On ne peut tout de même pas me reprocher
d'avoir mes propres convictions et d'être
certain qu'elles auraient été d'une très grande utilité pour la France.
J'ajoute que, compte tenu de mon expérience
qui est grande, on m'a suffisamment fait grief de mon âge pour que je puisse au moins revendiquer mon
aptitude à
gouverner. D'ailleurs, qui pourrait bien la contester ? Je suis le plus connu
de tous les dirigeants politiques français
sur la scène
internationale. Si je n'ai pas votre force de conviction, vous admettrez à l'unisson de tous les
observateurs que vous n'avez ni mon imagination ni mes facilités intellectuelles dont
le Seigneur a bien voulu me doter. Je n'y peux rien. C'est ainsi. Il y a de
telles évidences
qu'il serait vain de vouloir les contester. Je vous le dis avec quelque
amertume. En effet, à
quoi me servirait ces qualités,
si avec une rare obstination le peuple français, après
me les avoir reconnues m'interdisait de les exercer peu ou bien ? A quoi me
sert d'être le plus
intelligent si on ne veut pas de moi ?
Vous avez gagné contre Balladur et
Jospin. Vous admettrez avec moi qu'à
vaincre sans péril,
on finit par triompher sans gloire. Balladur et Jospin sont deux médiocres qui suintent
l'ennui et la suffisance.Pour Balladur, c'est bien fait. Il a voulu me dérober ce que j'avais mis
tant de temps à organiser
: l'UDF. Il a voulu le faire avec une rare grossièreté,
sans même
solliciter mon aval. Il a même
eu le culot de faire comme si mon soutien lui importait peu. Eh bien, il a été puni ! Certes, il l'a été
par vous, mais malgré
tout, cela m'a provoqué
une joie intense. Le sort que vous avez réservé
à Léotard et à Méhaignerie m'a comblé d'aise. ce sont des
petits esprits et de bien petites gens. Vous avez eu la faiblesse de reprendre
Quant à Jospin, je me suis
senti personnellement humilié
pour moi et pour la France qu'un homme qui dispose de
si peu de génie personnel puisse penser
postuler à la charge suprême. Parmi les
réformes que vous devriez mettre en œuvre sans tarder, il me semble que celle qui consisterait à exiger un coefficient intellectuel minimum pour avoir le
droit d'être candidat se pose avec le plus d'urgence. Bien sûr, pour que vous n'ayez pas de problème, il faudrait éviter toute rétroactivité à l'application
de cette nouvelle loi et pour que, malgré tout,
quelqu'un puisse vous succéder, on ne mettrait pas la barre
à un niveau trop élevé. Tout de même cela empêcherait la réédition de débats d'un niveau aussi médiocre que
celui qui vous a opposé à Jospin et à Balladur. Je doute de ne jamais comprendre mes
compatriotes. D'abord, ils refusent de créer les conditions
politiques pour que je sois candidat. Ce qui est déjà difficilement compréhensible, puisque après tout, j'ai déjà été président de la République. Mais, il y a eu pire. Figurez-vous que les Auvergnats
ont eu l'idée saugrenue de me faire battre
par un inconnu, Roger Quilliot, qui est maire de Clermont-Ferrand depuis trente
ou quarante ans. Et qui de surcroît est beaucoup plus âgé que moi. Il a soixante-dix ans,
j'en ai soixante-neuf. Croyez-moi, une année cela compte,
surtout pour un cerveau comme le mien. Moi, oui moi : ancien président de la République,
ci-devant président de la Région Auvergne, encore président de
l'UDF, battu par Roger Quilliot. Absurde. Insensé. Suicidaire.
Il est des moments où l'on se demande si le suffrage
universel ne génère pas des
effets pervers tels que l'on peut se poser honnêtement la
question de sa suppression. D'ailleurs, ce fut comme un vent de folie qui a
soufflé sur l'Auvergne puisque Anémone fut
battue à Chanonat. Oui Anémone à Chanonat. Et Henri dans une obscure commune de la banlieue
clermontoise. Voilà donc des gens qui disent aimer
l'Auvergne, qui ont la chance de compter dans leur Région l'une des grandes familles de ce monde, les Giscard,
et qui décident sur un coup de tête ou un coup de folie de se priver de cette chance, une opportunité qui risque de ne pas repasser avant les prochaines élections. Inouï ! C'est
à ne rien comprendre à cette
peuplade.
C'est vous dire si j'avais peu le cœur à vous écrire pour vous féliciter. J'étais trop occupé à consoler ma propre affliction pour me disperser sur
d'autres sentiments. Finalement, je n'ai eu comme seule satisfaction que celle
de vous voir faire le bon choix s'agissant des hommes de l'UDF qui vous
entourent. Je vous recommande tout particulièrement Hervé de Charette. Un être noble, au
sens propre comme au figuré. Figurez-vous que sa famille
remonte au XVIe siècle, sans interruption. N'est-ce
pas admirable et rare à la fois. Charles Millon saura être tout autant à la hauteur de
vos espérances. C'est bien simple, depuis dix ans qu'il est à mes côtés, jamais il
ne m'a contredit ou même contrarié. C'est un solide bon sens. Il est aussi peu brillant que
vous l'étiez à son âge. C'est un gage de réussite pour
votre entente. Me voici donc une nouvelle fois en réserve de la République. Dieu que c'est triste
! Mon talent cherche à s'employer. Je suis prêt à m'investir dans toutes sortes
de missions, même les plus modestes. Après tout, j'ai bien failli être maire de
Clermont-Ferrand. Peut-on imaginer plus sinistre ? Je pourrais, par exemple, être président de l'Europe à défaut d'être celui de la France. Je suis certain que mes partenaires
européens n'y verraient que des avantages : Helmut, John, Felipe...
sont des amis avec qui j'ai beaucoup d'affinité et, de surcroît, je parle anglais, allemand et espagnol. Tout le monde ne
peut pas en dire autant, même vous. Je parle également le chinois, le russe et j'apprendrais le tibétain s'il le fallait, même si je
reconnais que pour être président de l'Europe cela n'est pas absolument indispensable.
Je vous rendrais de grands services à ce poste.
J'appellerais au téléphone les
chefs d'Etat qui n'ont pas de temps à consacrer au
président français. Ne vous vexez pas, mais
c'est bien petit la France vue d'Europe. Je donnerais à notre politique étrangère le rayonnement que vous êtes en train
de lui faire perdre. Bref, je vous serais un allié
indispensable, vous devriez y penser. Oui, je crois que l'Europe serait à ma mesure. Je sens bien que si les Français ne me veulent plus, les Européens brûlent de connaître ce que l'intelligence française a produit de plus brillant.
Et puis, de vous à moi, c'est
bien vous qui me devez quelque chose. Je peux bien vous le confier dans le
secret de cette correspondance : je n'ai rien oublié, rien de tout ce que vous m'avez fait subir depuis vingt
ans. Alors que je vous avais nommé Premier ministre, ce qui était un cadeau exceptionnel compte tenu de votre
coefficient intellectuel somme toute assez modeste. Vous m'avez fait battre en
1981. Puis vous n'avez eu de cesse de me faire passer pour un ringard acariâtre et, malgré cela, moi, j'ai tenu à ce que vous soyez élu. Qui
pourrait nier que j'ai assuré votre succès par mon soutien déterminant.
J'ai fait de vous un président de la République française. Le moins que je puisse
attendre, c'est que vous contribuiez à donner à l'Europe le président que
notre continent attend. Je souhaite avoir sur ce point très rapidement de vos nouvelles. Non pas par de vagues
promesses auxquelles vous avez habitué depuis si
longtemps toute la classe politique, mais par de véritables décisions. A moins que vous ne me
demandiez d'accepter de m'abaisser à exercer la
seule charge que je n'ai pas encore connue : celle de Premier ministre. En tout
cas, je réfléchirai sans doute largement. Après avoir été président, devenir Premier ministre doit être une curieuse expérience. Mais
bon, s'il s'agit de l'intérêt de la
France, j'accepterai une fois encore. Je pense que, dans ce cas, il conviendra
que les choses ne traînent pas tant il me semble évident que le gouvernement de ce pauvre Juppé ne fait pas l'affaire. Quand je pense que je l'ai
complimenté. Où avais-je la tête ? J'étais devenu trop indulgent ou trop bon ou les deux à la fois. Je certifie qu'on ne m'y reprendra pas de sitôt.
En bref, il faut donc vous dépêcher de me trouver une occupation qui soit digne de mon
rang et de mon statut si profondément original dans la vie
politique française. D'ailleurs, avez-vous
tellement intérêt à mon oisiveté ? A votre différence, vous le savez, je pratique l'écriture. J'ai même écrit un fort bon roman un peu leste qui fut un grand succès populaire. Vous ne voudriez pas que j'exerce mes talents
littéraires à vos dépens ? Je suis fort bon également à la télévision. J'aime
ce moyen de communication tout à la fois efficace et moderne. Il
m'est devenu si profondément familier avec le temps, la
pratique et, je dois bien le dire, le talent. Je regretterais de devoir
accepter l'une des très nombreuses invitations qui me
sont faites pour laisser transparaître quelques
critiques à l’endroit de votre gouvernement. A moins que ce ne soit à la radio
que je sois conduit à exercer mon art. Souvenez-vous que déjà avec le Général
de Gaulle, il y a près de trente années, j’avais inventé le « oui, mais ».
Compte tenu des circonstances, je ne voudrais pas être conduit à pratiquer le « non,
pourquoi pas » qui serai du plus mauvais effet pour vous. J’attends enfin
que vous preniez date sur un certain nombre de sujets qui me tiennent à cœur :
l’Europe, bien sûr, la baisse des impôts évidemment, et les chasses
présidentielles. J’ai ouï-dire qu’une véritable monstruosité se préparait dans
votre entourage. Car je ne peux croire que cette initiative vienne de vous :
on s’apprêterait à fermer les chasses présidentielles ? Non, vraiment, je
ne peux croire chose pareille. Il y a pire puisqu’il semble que vous vous apprêtiez
à les ouvrir au public. Mais pendant que vous y êtes, faites du jardin de l’Elysée
une annexe de la Foire du Trône. Invitez donc le populaire à venir danser au 14
Juillet. Bradez la vaisselle nationale. Vendez le patrimoine de la République.
La vérité m’oblige à dire que vous me sembliez plus précautionneux lorsque vous
étiez maire de Paris. Je ne vous ai pas entendu alors proposer de mettre votre
appartement à la disposition des miséreux. Cessez donc ces gadgets. Ils ne vous
en seront d’aucune utilité. Croyez-en mon expérience qui est grande.
Monsieur le Président et cher ami, j’attends un geste de
votre part, un geste qui soit suffisamment ample pour signifier à la nation la
considération que vous me portez et qu’elle devra me témoigner.
Votre, Valéry Giscard d’Estaing