Lettres de mon chateau : 16 - à l'attention de Nicolas Sarkozy
Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy
16
– A l’attention de Nicolas Sarkozy
Monsieur
l’ancien Ministre et cher Nicolas,
Après
bien des hésitations je me suis résolu à t'écrire. Je t'en voulais tellement
que je n'arrivais pas à prendre la plume. Je n'avais rien envie de te dire,
sinon de mauvaises choses, ou même des injures. Je t'en voulais tellement que
j'aurais même pu t'étrangler de mes propres mains. Je t'avoue que, tous les
soirs, je me postais devant la télévision pour assister à ce spectacle si
réjouissant des « Guignols de l'info ». C'est ainsi que durant des semaines
j'ai pu passer mes nerfs. Dieu que cela m'a fait du bien de voir ma marionnette
exécuter la tienne. Je ne me lassais pas de ce spectacle. J'aurais voulu t'en
faire bien davantage encore. C'est vrai que les autres m'avaient lâché, mais ça
m'était bien égal. Pasqua, je le connais depuis si longtemps, je suis habitué à
ses trahisons. Avec lui, je ne fais même plus la différence entre ses fidélités
et ses traîtrises, les deux se confondent dans un ballet dont je ne suis pas
certain qu'il ait lui-même les clés. Que Juppé ait eu des états d'âme, peu
m'importe aussi. Je n'ai jamais eu avec lui les sentiments d'affection que je
t'ai portés. Il s'en est suffisamment plaint pour que je te l'avoue
aujourd'hui. Que Philippe Séguin me fasse crise sur crise, boude le congrès du
RPR, passe aussi. Je me suis toujours méfié de lui. Il le sait. Il me le rend.
Il n'y a rien là de très surprenant. Mais que toi, tu me laisses, là c'est trop
! C'est toi que j'avais chargé de conduire ma campagne présidentielle, c'est
toi qui devais être mon porte-parole. Toi que j'avais promis au plus bel
avenir. Toi à qui j'avais donné mon affection. Toi sur qui je comptais plus que
sur aucun autre. C'est pour cela que j'ai eu du mal à t'écrire à te reparler, à
de nouveau communiquer avec toi.
Je
ne résiste pas au plaisir de souligner ta qualité d'ancien ministre. Ce
Balladur t'a tourné la tête pour un vague maroquin. Sais-tu au moins ce que tu aurais
eu avec moi ? Imagines-tu ce que tu as perdu. Tu aurais pu être Premier
ministre. Voilà la vérité cruelle qui est la mienne aujourd'hui. Je veux que tu
saches que je t'écris de mon bureau présidentiel, un endroit que tu ne connais
pas encore. Peut-être y viendras-tu un jour ? Figure-toi que je t'imaginais au
jour de la passation de pouvoirs avec François Mitterrand. Tu étais seul chez
toi devant ton poste de télévision et tu enrageais en voyant les images me
montrant en train d'arriver à l'Elysée, seul, sans toi. Tu étais furieux contre la terre entière
de t'être trompé à ce point. J'espère
qu'à ce moment précis
tu en as voulu à Balladur de t'avoir entraîné là où tu es maintenant.
D'ailleurs, il fallait voir la tête
de Balladur. J'ai la cassette, une merveille de vérité. Et quand les militants de notre mouvement t'ont
sifflé
à Bagatelle, toi qui étais il y a peu de temps encore leur chouchou, n'as-tu
pas ressenti une immense impression de gâchis
? Et tout cela à cause d'Edouard.
Je
me demande encore ce que tu as pu lui trouver pour te faire abuser à ce point. Il est ton exact contraire. Il n'y avait
rien de commun entre vous deux. Et, de surcroît, il était déjà empêtré avec Pasqua. Pasqua
que tu détestes et qui te le rend bien. Oui, je n'ai toujours
pas compris la dose d'aveuglement, de bêtise
et d'entêtement qu'il t'a fallu pour te tromper à ce point. Et, de surcroît, contre toute évidence, alors que
j'avais gagné, tu t'entêtais
et tu t'enferrais davantage encore. Ce n'était
plus une noyade, tu étais devenu un
naufrage à toi seul. Crois-tu que cela soit pour moi un plaisir que
d'avoir dû m'entourer
des seuls fidèles qui me restaient. Oui, je sais, je t'entends déjà persifler sur Pons, sur
Debré, sur Baroin. Je connais leurs limites. Je les éprouve chaque jour davantage mais au moins me sont-ils
restés fidèles en toute
circonstance. Que puis-je désormais fonder sur
toi si tu demeures si profondément inconstant dans tes
sentiments ? Oui, je t'en ai voulu et je t'en veux encore.
Mais
ce n'est rien à côté de la haine que tu suscites chez mes proches amis qui
étaient pourtant tiens hier encore. J'ai dû me cacher pour t'écrire.
Ils voulaient que tu sois battu à
Neuilly C'est pour cela qu'ils ont mis une liste contre toi. J'ai réprouvé cette attitude mais
je les ai laissé faire. Après
tout, tu l'avais bien mérité. Il fallait bien que l'on te punisse pour cette félonie. Tous les jours, j'ai un rapport de Debré qui me décrit
tes faits et gestes. Il me conjure de t'empêcher
de redevenir député Car tu veux le
redevenir. Et on me dit que, de surcroit, tu veux le faire le même jour que Balladur. Quand cesseras-tu donc ce manège ridicule ? Je te demande de le laisser tomber comme
tu l'as fait pour moi il y a deux ans. Si tu ne lui parles plus, si tu ne le
rencontres plus, si tu ne le vois plus, alors peut-être que certaines choses redeviendront possibles entre
nous. Oh ! ne te fais aucune illusion, tu ne retrouveras jamais la place qui
fut la tienne auprès de moi ! Tu as fait
trop de mal pour que l'on te pardonne ainsi. Ce serait tout de même trop facile. Et que dire de l'insulte que cela représenterait pour ceux qui sont mes proches aujourd'hui.
Déjà, quand Juppé t'a invité à déjeuner, ils en étaient malades. Alors si c'était moi, imagine un peu le charivari que cela
provoquerait. Je ne veux même pas y penser.
D'ailleurs j'ai pris mes précautions Avec toi, il
vaut mieux. Mais quand tu auras lu ma lettre, elle se détruira instantanément.
C'est Pilhan qui m'a mis en garde. Il est persuadé que tu l'aurais montrée aux journalistes
pour te mettre en avant à mes dépens,
Eh
oui! voilà mon cher Nicolas ce que tu as gagné à ton attitude de ces derniers mois ! D'ailleurs
mets-toi bien dans la tête que j'ai changé. Désormais, je ne
pardonne plus. En tout cas plus tout de suite. Avant d'envisager ton retour il
faudra que tu souffres encore Je veux que tu voies ce que cela fait d'être seul, abandonné
de tous comme je l'ai été moi-même. Toi qui as si
souvent fait le malin à la télévision, à mes dépens, je veux que tu en sois privé pendant de longs mois. Et puisque tu as aimé Balladur à
ma place, tu n'as qu'à te contenter de lui maintenant. Petit-déjeune,
déjeune, dîne
avec Iui chaque jour. Au Trocadéro, à Chamonix, à
Deauville. Tu verras comme c'est plaisant, drôle, sympathique. Ce n'est qu'après
que tu auras surmonté tout cela que, peut-être, je t'accorderai mon pardon. Je dis « mon » pardon, car, pour ce
qui est des autres, je crains pour toi qu'il ne vienne jamais. Mes amis ne
t'ont jamais aimé, me diras-tu. Eh bien, ils t'aiment encore moins
aujourd'hui. Tu t'étais imaginé que c'était
facile de devenir un homme d'État. Eh bien, tu t'es trompé et maintenant il faut payer.
Note
bien que ça ne me fait pas plaisir de te dire tout cela. Si tu
savais comme la vie est triste à l'Élysée. Tu ne peux imaginer combien je me sens seul.
Parfois, je me prends à imaginer que tu ne
m'as pas trahi et que de nouveau tout est possible comme avant. Je ris même en te voyant traiter Romani d'imbécile, en faisant envoyer Juppé, comme tu adorais le faire, en te moquant des
conseils silencieux d'Ulrich, en te bagarrant avec Séguin. Car vois-tu j'aimais chez toi ce goût du combat, de la politique et de l'impertinence. Ah
! grand Dieu ! pourquoi m'as-tu trahi ? J'aimerais que tu redeviennes le
Nicolas que j'ai connu et que j'ai aimé.
Celui à qui je pouvais téléphoner à
tout bout de champ. Celui à qui je pouvais tout
dire. Mais je ne t'ai pas oublié. Ah! si seulement tu
pouvais commencer à dire du mal
d'Edouard ! Tout serait plus facile et surtout plus rapide. Il faudrait que tu
sois avec lui aussi cruel et méchant que tu le fus
avec moi en son temps. On pourrait même
imaginer que tu dises qu'il t'a menacé
pour d'obliger à le soutenir, ou bien qu'il t'avait hypnotisé. Juste histoire de dégager ta responsabilité et de montrer que tu
n'étais pas dans ton état
normal lors de la campagne pour l'élection
présidentielle. Vois-tu, mon rêve serait que toute la famille gaulliste se retrouve.
Tu reprendrais ta place parmi nous, celle que tu n'aurais jamais dû quitter. Quant à
Balladur, nous le laisserions tout seul croupir dans son coin. A son âge, ce n'est pas grave. D'ailleurs, il n'a jamais été vraiment l'un des nôtres. Crois-moi, ce ne serait pas une perte.
D'ailleurs, tu peux lui dire de ma part que je veux jamais plus le revoir, que
tout est fini. Il m'avait promis de ne pas être
candidat, il a failli à sa promesse. Cela je
ne peux l'accepter. Tu sais bien le prix que j'attache aux engagements, surtout lorsqu'ils
sont personnels. Comment d'ailleurs a-t-il même
pu avoir la volonté d'être candidat ? Je le connais, c'est un velléitaire. Je me demande si ce n'est pas toi qui lui a
mis cette idée en tête. Tu pensais que ce
serait ton intérêt. Et voilà, ça t'est retombé sur la tête.
Il y a au moins une morale à toute cette histoire
et je suis bien content qu'elle l'ait été à tes dépens !
Voila,
mon cher Nicolas, ce que j'avais sur le cœur.
Ça m'a soulagé
de te le dire aussi librement. A toi de réfléchir maintenant et de me dire ce que tu entends faire.
Crois en mes sentiments toujours courroucés
et cependant indulgents.
Jacques Chirac
Réponse de Nicolas Sarkozy à Jacques Chirac
Monsieur le Président de la République,
Je
vous remercie pour ce courrier qui m'a touché
et qui ne m'a pas laissé insensible. J'ai été heureux que vous
rompiez enfin ce silence qui s'était installé entre nous depuis si longtemps. Si vous saviez
à votre tour combien j'ai souffert d'être devenu le paria de notre famille et combien votre
indifférence marquée
à mon endroit m'avait blessé. Je n'arrivais pas à m'y faire. Vous savez que je suis beaucoup plus sensible qu'on ne le
dit. Durant ces longues semaines, je n'ai eu pour parler que Balladur et Léotard. C'est dire que ce ne fut pas drôle tous les jours. Si étonnant que cela puisse paraître,
je n'ai jamais cessé d'être chiraquien. Je l'ai été en suivant scrupuleusement votre exemple. Car enfin,
il y a quelque injustice à me reprocher de vous
avoir trahi. Vous étiez bien membre de
la famille gaulliste quand vous avez trahi Jacques Chaban-Delmas pour Valéry Giscard d'Estaing. Et quand il a fallu trahir
Giscard, avez-vous hésité à le faire alors même qu'il avait fait de vous son Premier ministre ? Je
suis le seul à avoir suivi aussi scrupuleusement votre exemple.
Va-t-on m'en vouloir de cela ?
Quant
à Balladur, c'est un comble ! Ce n'est tout de même pas moi qui l'ai trouvé. Ensuite, il a fallu choisir quand vous vous êtes séparés. J'ai choisi. Mal, il est vrai. Mais j’étais son
ministre et je pensais qu’il pouvait gagner. Vais-je payer toute ma vie pour
une simple erreur de pronostic ?
Quant
à mon retour auprès de vous, je ne suis pas dupe. L’affection n’y tient qu’une
petite place. Vous savez mieux que moi juger les hommes et vous n’imaginez pas
une seconde de continuer avec un tel gouvernement. Vous me demandez de quitter
Balladur, mais c’est déjà fait. Il est devenu tellement insupportable depuis qu’il
a perdu que plus personne ne le supporte. Alors, pensez donc, je n’ai pas l’esprit
de sacrifice poussé à ce point. Quant à dire du mal de lui, pas question. Non
que je ne le pense pas, mais je ne veux pas être pris à nouveau comme cible par
les « Guignols ». Une série, oui, deux, c’est beaucoup trop. Alors,
peut-être, pourrais-je recommencer à vos côtés comme simple conseiller. Au bout
de quelques heures, une fois, mes preuves faites à nouveau, seriez-vous heureux
d’avoir avec moi un homme de confiance et de fidélité qui puisse fournir une
heureuse alternative aux différends médiocres et sempiternels qui opposent
Juppé à Séguin.
Votre
collaborateur, qui n’a jamais cessé d’être fidèle et dévoué.
Nicolas
Sarkozy