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politiful people
23 décembre 2005

Lettres de mon chateau : 1 - Signé François Mitterrand

Pour en savoir plus sur les lettres de mon chateau de Sarkozy (alias Mazarin)

Monsieur le Président de la République, 

Vous avouerai-je que cela me fait drôle de vous appeler ainsi. Non que vous ne le méritiez pas. Grand Dieu, vous vous êtes donné assez de mal pour y arriver. C’est un connaisseur qui vous le dit. Moi qui suis resté vingt quatre ans dans l’opposition. De surcroît vous avez eu le bon goût de ne réussir qu’à la troisième tentative, justement comme je l’avais fait. Je sais bien ce que, tout comme moi, vous pensez de ces quinquagénaires qui se croient encore jeunes et qui voudraient tout réussir à la première tentative. Je sais que vous en viendrez vous aussi à les haïr ou à les mépriser, ceux qui finalement participent du même clan, si ce n’est déjà fait.

Malgré tout, j’ai du mal à me défaire de ce titre. Ce n’est pas que je regrette les pompes et les ors des palais nationaux, pas plus que je n’ai la nostalgie des courtisans qui vont avec. J’en ai soupé et bien souvent le dégoût m’est monté au bord des lèvres devant ce spectacle de la comédie humaine, mais c’est plutôt une question de standing. J’avais fini par m’identifier à la fonction. Elle et moi ne faisions plus qu’un. J’ai été durant quatorze ans François Mitterrand, le Président de la République. Je ne suis plus que François Mitterrand. Je regarde cette nouvelle réalité comme une incongruité, une sorte d’anomalie. Comme une erreur qu’il conviendrait de réparer. Le plus grave, c’est que je me demande si cela finira par me passer. Admettre qu’on est plus que le passé est si difficile, surtout que pour moi qui n’ai, ma vie durant, pensé qu’au lendemain !

Mais cessons de parler de moi, c’est de vous et de la France que je voulais vous entretenir. D’abord bravo, je vois que vous connaissez bien nos compatriotes : ils n’ont absolument aucune mémoire : je l’ai vérifié si souvent. L’essentiel n’est pas de leur dire des choses importantes, ou vraies ou justes, ils s’en moquent. L’essentiel est bien de leur dire ce qu’ils pensent au moment où ils le pensent. L’exercice est plus difficile qu’on ne le croit tant ils changent rapidement. Je croyais être un maître en la matière vous êtes en train de m’en remontrer. Continuez ainsi. C’est le bon chemin. Parlez comme un président et surtout oubliez le candidat que vous avez été. Vous n’êtes tenu, Monsieur le Président, à honorer aucune promesse. Ce n’étaient pas les vôtres mais celles du candidat. Ne vous embarrassez pas davantage de cohérence ou de rationalité dans vos choix. Laissez cela à tous ces technocrates obtus que vous avez eu raison de désigner à la vindicte. Il fallait des coupables. Ils font parfaitement l’affaire. Ne vous préoccupez que d’une seule chose : durer. Et pour cela il convient de savoir mieux flotter que résister.

J’ai bien vu lors de la passation de pouvoirs entre nous que vous n’aviez pas encore pris vos marques. Je ne sais si votre timidité (ou votre réserve) respectueuse à mon endroit était feinte ou réelle. Je l’ai appréciée ! Vous avez ainsi su démontrer à la France entière que vous aviez délaissé les méthodes de soudard que l’on vous a si souvent prêtées. Tout de même, la première journée fût bien morose pour moi : vous savoir dînant dans mes couverts et dormant dans mon lit. C’est une drôle d’expérience. Cela a dû l’être pour vous. Je vous imaginais respirant mon odeur encore présente dans ce bureau présidentiel qui fût le mien durant quatorze ans.

Ne brusquez pas le chef. Mes goûts culinaires sont si différents. Lui aussi va devoir s’adapter. Je les orientais vers la cuisine moderne. J’imagine que vous le ferez revenir à des goûts plus passéistes et conservateurs. Remarquez, c’est pleinement votre droit, et contrairement aux apparences je ne veux pas m’en mêler. D’ailleurs, il faut bien que je me mette dans la tête que, désormais, je n’ai plus à m’occuper de tout, l’autre jour j’ai téléphoné à Helmut. Il a été très gentil et chaleureux comme il sait l’être. Il est toujours chaleureux. Mais j’ai bien senti qu’il avait moins de choses à me dire. Le maladroit a même trouvé moyen de me parler de vous à deux reprises. Faites attention : à Halifax, vous en avez trop fait. Vous commencez à les agacer. Ils ont le sentiment que vous les traitez comme les éleveurs corréziens : beaucoup de considération et peu d’écoute. Et puis, surtout j’ai l’impression que vous les avez fatigués en vous agitant dans tous les sens. Je sais que vous parlez quelques mots de russes, mais votre démonstration d’affections pour Boris Eltsine n’était pas forcément des plus opportunes dans le contexte tchétchène ! Prenez mon conseil comme je vous le donne : n’en faites pas trop, sept ans c’est long. Vous avez le temps. Il faut durer, c’est si difficile de durer. Cela l’est chaque jour davantage pour moi.

Méfiez-vous de John Major. Un fameux hypocrite celui-là. Il n’est que de voir comment il a traité Mme Thatcher. Ce n’est pas que je l’aimais mais tout de même. Il est toujours d’accord avec vous, puis il fait tout le contraire. Un véritable Anglais. D’ailleurs, il est fini. Je ne vous cacherai pas que son flegme avait fini par m’agacer. En fait, il est d’un ennui mortel. D’ailleurs je me demande bien pourquoi nous autres les présidents, faisons un tel abcès de fixation sur les questions internationales. Ces réunions diplomatiques sont formelles à plaisir. On ne s’y dit jamais rien. Les diplomates n’ont qu’une seule obsession : ne rien décider et servir tous et tout le monde. La forme est leur unique préoccupation. Pour le fond, on s’adapte. Ils se croient d’une race supérieure, confondant en permanence la qualité du col de chemise avec la pertinence d’une analyse. Quand je pense que vous avez choisi un diplomate comme premier collaborateur à l’Elysée. Je crois bien que c’est votre première erreur. Vous voulez changer le monde et vous prenez pour le faire un professionnel. Je dis professionnel, car on les a formés pour cela. Faites attention cependant car l’on me dit qu’il est de par nature agité, ce Villepin. Cela m’étonne qu’à moitié puisqu’il a été le collaborateur de Juppé. Il est intelligent celui-là, mais sa rigidité dogmatique m’a souvent frappé. Il se cabre pour le principe. « Je me cabre donc j’existe », semble-t-il penser à longueur de journée. Vous aurez rapidement des problèmes avec lui. Je m’y connais. Je m’en souviens avec Fabius. Encore celui-ci s’anime-t-il avec moins de contentement ostentatoire qu’Alain Juppé. Ce dernier, c’est le palais des glaces et des miroirs du Jardin d’acclimatation à lui tout seul. Remarquez que, là encore, je vous vois faire et vous vous débrouillez bien. Laissez-le monter sur tous les créneaux à la fois. C’est ainsi qu’il sera le meilleur fusible quand les ennuis arriveront. Pour l’instant il est ivre de pouvoir et de puissance, il pense (le naïf) que tout est possible et que rien ne lui résistera : Premier ministre, Bordeaux, demain le RPR…Je vous le dis, c’est Fabius en pire. Ce dernier avait un soupçon de sensibilité, l’autre je ne le pense pas.

Je m’en voudrais d’abuser de votre temps en allongeant ma prose. Mais je me dois de terminer en vous donnant quelques trucs qui peuvent être liés à la vie de tous les jours et n’en sont pas moins utiles. Au premier étage, dans l’aile gauche du Palais, il existe un appartement parfaitement équipé. Il compte une chambre à coucher, une salle à manger, une salle de bains et même une cuisine. Choisissez avec soin celui que vous allez y installer. Il sera comme un coq en pâte. De surcroît, s’il a une vie privée compliquée, vous lui rendrez un immense service. Pensez, j’y avais installé Michel Charasse. Il a dû s’y trouver bien puisqu’il y est resté treize ans. Et en matière de qualité de vie, il s’y connaît, croyez moi ! Je l’avais ainsi sous la main vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela m’a bien servi pour les grandes comme pour les petites tâches. Il faudrait que vous trouviez un Michel Roussin qui n’aurait pas été mis en examen. Maurice Ulrich ne fera pas l’affaire, à la fois trop prudent et trop âgé. Jean-Pierre Denis, trop jeune. Christine Albanel peut-être, mais c’est une femme. Saura-t-elle garder le moindre de vos secrets ? J’en doute. Elle se ferait tuer pour un bon mot…

Très bien aussi, vos consignes d’économie. Soyez draconien avec les autres, surtout le Premier ministre, et contentez vous d’être discret pour vous-même. Vous le verrez, je n’ai pas fait donner un seul coup de peinture dans la salle du Conseil. Elle est de toute façon bien assez agréable pour ce que l’on y fait. Pensez que j’y ai subi plus de mille Conseils des ministres. Plus ça allait et plus ils devenaient bavards. Une véritable diarrhée verbale, surtout Rocard qui avait des idées obscures sur tous les sujets simples. Si la salle est trop confortable, ils s’y éternisent. Cela deviendra un enfer. Déjà que ce n’est pas gai et encore moins passionnant. C’est fou ce que les hommes ont tendance à devenir intarissables dès qu’on leur confie la moindre responsabilité.

J’ai deux derniers conseils à vous donner mais ils sont importants. S’agissant de la réduction du train de vie de l’Etat. Je vous l’ai déjà dit, continuez à la réclamer, la proclamer et surtout la promettre. Faites-le sur tous les tons. Ça impressionne toujours. J’ai approuvé la suppression du GLAM. Ça doit bien être la cinquième ou sixième. Ça n’a aucune importance. Ça marche toujours aussi bien. Très bien également, l’interdiction des deux-tons et des girophares (Note du Transcripteur : sic). Il était temps de les supprimer car on n’en a jamais vus autant dans les rues de la capitale ce printemps. Ce doit être les adjoints au maire de Paris qui ne se décident pas à obéir à Jean Tiberi. Vous devriez lui en parler puisque la rumeur affirme que vous séjournez toujours dans ce qui fut votre grand bureau de l’Hôtel de Ville. Je me demande le plaisir que vous trouvez à vous incruster ainsi. Peu importe, mais au moins que cela serve pour parler à Tiberi ou à défaut à Romani. L’un est le fidèle décalque de l’autre. C’est dire s’il reste peu de choses pour Romani.

Mon deuxième conseil est le suivant : continuez à rester discret sur les fonds secrets. Pour les ministres ce sont des broutilles, quelques dizaines de milliers de francs par mois. Pour le président de la République, ce sont des millions et pour l’Elysée, je ne compte pas (croyez-bien qu’en quatorze ans, je ne l’ai jamais fait ; je ne suis pas un comptable et c’est fichtrement agréable !). Donc silence, ne gâchons pas le métier, nous ne sommes plus que trois dans la confidence et encore, pour ce pauvre VGE, c’était il y a trop longtemps. Il a dû tout oublier, inutile de lui rafraîchir la mémoire. Il est tellement pingre qu’il serait capable d’en demander sa part. D’ailleurs, et à ce propos, si vous étiez élégant et généreux, ce dont je ne doute pas vous penseriez que ce n’est pas toujours drôle et facile d’emmener tous les jours au restaurant Roger Hanin, Jack Lang ou Michel Charasse… Je dois les inviter. Mes amis ont dû réduire beaucoup de leurs ambitions. Ils vivent si chichement désormais.

Je vois beaucoup votre épouse Bernadette. Elle semble prendre très à cœur sa fonction de Première Dame de France. Attention, car ça va aller en empirant. J’en sais quelque chose. J’ai eu grand peine à contenir l’énergie débordante de Danielle. Ça n’a pas arrêté une minute. Elle m’aurait pas fâché avec l’humanité entière si je n’y avais pris garde. Car le problème avec les femmes, c’est qu’elles sont sincères. Alors que nous, nous savons prendre de la hauteur ou du recul. Je suis inquiet pour vous. On dit même qu’elle a déjà dans le nez certains de vos collaborateurs dont ce grand agité de Villepin. Elle va finir par vous donner des conseils. Ce ne sera pas trop grave car vous vous garderez de les suivre. Les problèmes viendront quand elle s’en rendra compte !

Vous le voyez, je me fais du souci pour vous. C’est que, finalement, avec les ans, j’ai appris à vous apprécier. Je penserai bien à vous à la rentrée. On dit qu’elle sera chaude. Il faudra veiller. Je le ferai. N’hésitez pas à solliciter mon conseil, il pourra vous servir car, après tout, je suis bien le seul à avoir été élu deux fois et surtout à si bien avoir su durer. Je vous l’ai dit, c’est la seule chose qui compte.

Vôtre,

François Mitterrand 

Post-scriptum : Méfiez-vous des huissiers, ils sont si bavards.

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