Lettres de mon chateau : 5 - Signé Line Renaud (Encore)
Monsieur le Président de la
République, Mon grand Jacques,
Je n'en reviens pas.
Je ne peux même pas y croire. Tes collaborateurs commencent à te cacher ton courrier personnel. Tu
seras certainement curieux d'apprendre qu'on a fait répondre à ma lettre par
l'une de tes obscures collaboratrices.
Oui, c'est la vérité, à moi, ta si vieille amie, ton soutien le plus
fervent, me faire répondre par
une employée, une employée qui
se permet de m'adresser ses sentiments respectueux
et dévoués ! Qu'est-ce que j'en ai
à faire de son dévouement, moi
qui t'embrassais déjà quand
cette inconnue était encore à l'état de
projet dans la tête de ses parents.
Et son respect ! Qu'est-ce qu'il me fait, le respect de cette technocrate, moi qui ai échoué au BEPC ! J'ai donc décidé de prendre
les grands moyens. J'ai demandé à José, ton fidèle huissier qui m'embrasse
comme du bon pain, de donner la copie de
ma lettre (heureusement que je l'avais gardée,
sinon, tu te rends compte un peu de la catastrophe) à Claude qui m'a promis de te la remettre en
mains propres. Comme ça, je suis bien
certaine que tu l'auras et que personne n'aura eu le culot d'avoir ouvert ton courrier Intime. Dorénavant, il faudra donc
trouver un nouveau système. José
m'a dit qu'il existait une valise
diplomatique ou quelque chose comme ça. Je n'ai pas la mémoire exacte des mots compliqués. Simplement, Il faudra que tu
m'indiques le nom d'une excellence
(c'est comme ça paraît-il qu'on
appelle les ambassadeurs dans « Point de vue-Images du monde ») qui
sera chargée de transporter mon courrier.
Mon grand
Jacques, je t'en prie, ne les laisse pas t'isoler. Sinon, tu finiras comme
Giscard ou, pire, comme Balladur ! Tu te rends compte, terminer comme Balladur
! Je ne peux pas l'imaginer. S'ils faisaient ça, ils auraient affaire à moi. Tu
peux le croire. D'ailleurs, si tu ne me répondais pas, je n'hésiterais pas une
seconde, je viendrais moi, oui, je débarquerais à l'Elysée ! Et ils verraient
de quel bois je me chauffe. Ils ne te garderont pas tout seul pour eux. Tu
appartiens à la France, au peuple français. Et le peuple, c'est moi. J'attends
quarante-huit heures, mon grand Jacques, et j'interviendrai. Et, crois-moi, je
ferai mieux que les soldats de l'ONU en Herzégomachin. Tu sais pouvoir compter
sur moi. Je sais que ça te fera du bien de le savoir. Ton amie fidèle et
sensible,
Line Renaud
Réponse de Jacques Chirac à Line Renaud
Ma chère petite
Line,
J'ai bien reçu
tes deux courriers. Si tu savais comme ils
m'ont fait plaisir. Tu t'imagines aisément
ce qu'a été mon emploi du temps ces
derniers temps, c'est ce qui explique que je n’ai pu te répondre aussi rapidement que je l’aurais souhaité. Surtout, je ne veux
pas que tu marques la moindre rancune â
l'endroit de mes collaborateurs. Ils t'admirent tant ! Je suis fasciné
de voir à quel point tous, je dis bien tous, connaissent l'intégralité de ton
œuvre. J'ai même surpris l'autre jour Maurice Ulrich écoutant « La
Demoiselle d'Armentlères ». Tu me diras que c'est normal à son âge. Mais il y a
mieux puisque, depuis qu'il connaît nos liens d'amitié, le secrétaire général
adjoint, Jean-Pierre Denis - un jeune -, ne quitte plus son Walkman et tes
cassettes. Je suis certain qu'il est sincère dans son admiration pour toi.
Quant à Jacques Toubon, il ne faut pas que tu lui en veuilles. Il n'a jamais
rien compris à la grande musique ; il fallait vraiment que ça soit ce pauvre
Balladur pour penser en faire un ministre de la Culture ! La meilleure preuve
que je me méfie de ses goûts artistiques est que je n'ai pas voulu qu'il
devienne maire de Paris. Jean Tiberi, c'est quand même autre chose. Et pour les
arts et lettres, auxquels, comme toi, je suis très profondément attaché, c'est
une vraie garantie. J'ai été profondément touché par ta si chaleureuse idée qui
consiste à venir me voir à l’Elysée. Comme je serais heureux que tu le
fasses ! Si cela ne tenait qu’à moi, je t’inviterais dès aujourd’hui.
Mais hélas,
mille fois hélas, je ne suis pas maître de mon emploi du temps. Durant les six prochains mois, je serai conduit à
aller de conférences internationales en colloques onusiens. J'ai bien sûr la
possibilité d'emmener avec moi quelques invités prestigieux ; je pourrais
t'inviter au prochain G7 sur la
réforme du système monétaire. Tu y ferais merveille. Je vois d'ici Helmut Kohl,
ravi de découvrir une Française, aussi spontanée que lui. Je ne me fais aucun
souci, tu t'entendrais avec Felipe Gonzalez. Fais attention avec celui-là,
c'est un coureur invétéré ! Avec John Major, ce sera plus dur. Il ne faudra pas
que tu t'attardes. Il est si snob. François Mitterrand m'a mis en garde: un véritable
Anglais. Ignore-le, il risquerait de te faire une réflexion désagréable sur ta tenue. Penses-tu, il n'aime pas les
couleurs. Mais je vois bien que je suis en train de rêver. Je serais tellement heureux
que tu sois à mes côtés! Je crains hélas
que tu ne t'ennuies trop, ces réunions internationales sont assommantes à un
point que tu n’imagines pas. J’ai une meilleure idée : dans quelques mois,
quand je pourrai bénéficier d'un peu plus de temps, tu viendras dîner à l'Hôtel
de Ville de Paris. J'ai gardé l’appartement, et je n'ai pas l’intention de le
rendre. Nous ferons un dîner en famille, juste toi, Claude, José et moi. Ainsi,
nous ne serons pas dérangés. Ce sera aussi familial et discret que tu l’as
toujours souhaité. Nous parlerions du bon temps. Et même, si tu le veux, de ce
superbe maillot de bain bleu marine dont j’ai gardé un souvenir aussi précis
que celui d'un égyptologue découvrant pour la première fois la Grande Pyramide.
Mais non ! je t'entends d'ici protester. Ce n'est pas la Pyramide qui me fait
penser à toi. Tu es très bien comme ça ! Je voulais simplement te dire que
j'avais gardé en mémoire chaque instant de notre premier voyage à Los Angeles
chez Gregory.
Ton idée de
Marianne est formidable. Elle tombe pile-poil. Tu te rends compte ! Enfin, avec
toi, nous aurions une véritable Marianne. Depuis Brigitte Bardot, il n'y a pas
eu mieux. Le pays saura se reconnaître dans ta personne, dans ton physique, dans
ton langage, dans ton œuvre. Oui, vraiment, ma petite Line, si cela ne tenait
qu'à moi, tu serais déjà notre Marianne depuis longtemps, et pour toujours.
Mais hélas, mille fois hélas, la procédure pour désigner la future Marianne est
extrêmement longue et compliquée. Il faut d'abord être retenue sur une liste
d'aptitude dressée par l'Association des maires. Je suis certain qu'ils
seraient aussi enthousiastes que moi. Mais le problème est qu'ils te feraient
passer un examen sur les finances locales et le droit administratif. C'est bien
normal de vérifier les
compétences de notre future Marianne !
Dis-moi où en sont tes connaissances sur l’ensemble de ces sujets et si tu peux
consacrer une semaine aux divers examens nécessaires Une fois que tu auras
franchi cette première étape, il en restera
une autre, ô combien plus difficile, celle-là ! du Conseil constitutionnel.
Comme tu le sais, il est présidé par Roland Dumas, qui n'aime que les jeunes. Oh
oui ! tu es jeune encore, c'est certain, mais il y a des candidats qui auraient l'outrecuidance d'être
encore plus jeunes que toi. Ne dis pas que c'est insurmontable, je dis seulement que ce sera difficile.
Enfin, je vais essayer et je te
tiendrai au courant. Je dois à la vérité te dire que j’y avais déjà pensé et
que souvent, j'en avais parlé avec Bernadette et Claude. Si je ne te l’avais
pas demandé, c'est uniquement parce que Claude m'avait dit que cela allait te
gêner. Connaissant ta modestie, je me suis donc abstenu de t'en toucher le
moindre mot. Tu vois, j'ai sans doute eu tort mais c'était une question de
pudeur.
Ma petite Line,
tu sais comme je suis sincèrement touché par les sentiments que tu me portes.
Ils sont tout à ton honneur. Mais tu devrais faire un peu plus attention
lorsque tu m écris pour me parler de tes souvenirs avec moi. Je ne suis plus
seul. Je suis président de la République et je n'ai confiance en personne. Je
suis obligé d'être sur mes gardes. Je n'ai notamment pas le moindre ambassadeur
en qui je puisse avoir suffisamment confiance pour lui confier ton courrier
personnel. Je sais, c'est dur, c'est affreusement triste, mais c'est ainsi. Le
devoir d'Etat implique aussi de savoir endurer ses souffrances personnelles.
Alors j'ai une idée. Durant mon septennat, je me demande s'il ne serait pas
plus commode pour toi d'entretenir une correspondance avec Alain Juppé. Je sais
qu'il nourrit une véritable passion pour toi. Tu es tout à tait son style
d'intelligence et de caractère. D'ailleurs moi-même, quand je le vois, je ne
peux m'empêcher de penser à toi. On dirait un frère et une sœur ; vous auriez
même pu être jumeaux. Si, si, je te l'assure, je n'exagère pas. D'ailleurs, tu
me connais, je n'exagère jamais. Je suis plutôt du style modéré. Je vais donc
lui en parler, si tu me le permets. Vous pourriez correspondre utilement ; tu
lui donnerais tes idées sur la France et sur le monde, il te recevrait aussi
souvent que tu le voudrais. Vous dîneriez et déjeuneriez ensemble aussi souvent
que vous le souhaitez. Rassure-toi, je le connais... La transparence faite
homme. Il me rendra compte de tout. Me répétera l'intégralité de vos conversations.
Ainsi je pourrai, à distance, rester en contact avec toi. Notre amitié restera
la même. Et puis, si tu le souhaites, tous les deux ou trois ans, nous
pourrions nous voir. Je pense même pouvoir venir à Rueil pour prendre
l'apéritif. Que penses-tu de cette idée ? Je suis certain que tu la trouves
absolument formidable. Vois-tu, ma petite Line, nous deux, qui avons vécu, qui
connaissons la vie, nous savons mieux que d'autres que l'amitié est un bien
précieux qu'il convient de savoir
protéger et entretenir. Tu es mon
amie, Je suis ton ami. Nous sommes
amis. C'est cela qui compte et qui permettra que dans sept ans, à la fin de mon septennat, Je serai si heureux de te revoir et de profiter enfin de toi,
Ton grand
Jacques