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politiful people
2 décembre 2005

Lettres de mon chateau : 17 - De Patrick Bruel à Philippe Douste-Blazy

Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy

Voici une nouvelle lettre, particulièrement savoureuse à 2 titres : Sarkozy se paie la tête d'un people, un vrai, et dresse un costard à Douste-Blazy, un de ses piliers actuels, pas rancunier pour 2 sous, mais ça Sarkozy l'avait déjà très bien décrypté.....

De Patrick Bruel à Philippe Douste-Blazy

Monsieur le Ministre,

Je rentre seulement d'un bien long voyage aux Etats-Unis. Pendant deux mois j'ai été coupé de tout ou presque. Pour mon travail j'ai dû me rendre à New York, à Los Angeles en Californie, puis à Miami en Floride, et j'ai terminé par la Guadeloupe et Saint-Martin. Ce fut épuisant. Ah, vraiment, chaque jour je me dis que mon métier est bien difficile, et qu'il représente des sujétions énormes. Je n'y peux rien mais mon inspiration pour mes chansons ne peut venir que sous le soleil des tropiques. J'ai besoin d'être loin, au calme, où ceux qui m'aiment trop ne peuvent me nuire. C'est là, et là seulement, que je retrouve mes racines en même temps que mon inspiration artistique. Le fait que je n'écrive ni ne compose mes chansons n'a aucune importance, il faut bien que quelqu'un donne des idées et, aussi curieux que cela puisse paraître, c'est moi. J'étais donc loin de la France et de ce tourbillon habituel de succès. Tu sais, ça fait vraiment du bien de redevenir monsieur Tout-le-monde. Tu devrais essayer toi aussi, qui es en train de devenir une star de la politique. Tu ne te rends pas compte de la chance que l'on a. Nous sommes moyennement intelligents mais, question physique, pardon, qu'est-ce qu'on assure ! Nous n'y pouvons rien mais c'est ainsi : un don du ciel. Je m'en sers à mort et j'ai bien remarqué que tu faisais de même.

Je te félicite pour tes derniers articles. Il y a de plus en plus d'images et de moins en moins de textes. C'est tout comme moi dans mes chansons : il y a de plus en plus de musique et de moins en moins de paroles. Mais on a tout compris. Notre société est celle de l'image et de la communication. Moi je communique sur moi. C'est encore le sujet que je connais le mieux. Je te conseille d'en faire autant. Donc, après ce long périple, je lis le journal et je vois deux nouvelles qui me laissent pantois. La première fut un véritable choc, presque un traumatisme : toi devenu ministre de la Culture. Te rends-tu compte du poids de la charge qui t'est ainsi confiée ! Un véritable building. Remarque, je ne dis pas que tu n'as pas les épaules pour cela, mais tout de même cela fait une drôle d'impression. Tu te vois patron des théâtres, des salles de concerts, des cinémas, des musées ?

Ça m’épate de te savoir dans un fauteuil aussi prestigieux. Sais-tu que, d’après ce que l’on m’a dit, Malraux a été, il y a très longtemps, ministre de la Culture ? Je ne connais pas son œuvre mais je sais qu’elle fut immense, notamment dans le cinéma et au théâtre. Je ne sais plus exactement, à moins que cela ne soit un écrivain. Oui, c’est cela que je pense. D’ailleurs, j’ai une idée. Il faut que tu écrives. Fais un livre, ça te posera. Fais sérieux et ennuyeux, c’est ainsi qu’on les aime en France, les écrivains. Si tu n’as pas le temps d’écrire, ce n’est pas grave, tu n’as qu’à demander à ton éditeur de te trouver un nègre. Il n’y a pas de honte à cela puisque j’ai bien quelqu’un pour écrire mes chansons, j’aimerais bien voir qu’on t’interdise d’avoir un auteur pour écrire tes livres.

Enfin maintenant que tu es ministre, j’espère que tu vas faire le maximum pour nous les chanteurs et surtout les chanteurs français. Nous avons été souvent considérés comme quantité négligeable. Il te revient d'y mettre un terme. Je te demande de prendre une première décision à la portée hautement symbolique. Il ne devrait y avoir dans la prochaine promotion des Arts et Lettres que des chanteurs français. Je pense à François Valéry, Hervé Vilard, à Michèle Torr, ou à moi-même. Ça aurait tout de même une autre gueule que la brochette d'écrivains que l'on nous impose à chaque fois. Y'en a marre, mon cher Philippe, de voir décorer tous ces académiciens tous plus vieux les uns que tes autres. Tu sais la différence entre Jean d'Ormesson et moi, c'est que lui ne vaudra jamais que le quart des ventes d'un seul de mes disques On ne va tout de même pas comparer. Crois-moi, si tu fais ça, tu te les mettras tous dans la poche. Tu seras le nouveau Jack Lang. J'espère que tu ne m'en veux pas de cette comparaison, mais il a laissé un très bon souvenir chez nous. Tu devrais d'ailleurs t'inspirer de ses tenues vestimentaires. Tu sais, un ministre de la Culture est un acteur comme les autres. Il se doit d'avoir un costume de scène. Sans te vexer, ton tailleur lourdais, c'était parfait quand tu étais ministre de la Santé car il était dissimulé par ta blouse blanche. Mais maintenant que tu es place de Valois, il faut des couleurs plus vives. Sur les photographies, on ne verra ainsi que toi. Cela t'évitera d'avoir à répondre à des questions vicieuses de ces pervers de la presse culturelle.

Je les connais bien. Je les ai toujours eus sur le dos à me demander le dernier film que j'avais vu ou, surtout, le dernier livre que j'avais lu. Une horreur ! Pas ouvert un livre depuis que j'ai raté mon bac.

J'allais oublier ma deuxième grande affaire : les maires du Front national. Ah, c'en est trop. Je devais faire un concert à Orange. Depuis que la municipalité est FN, j'ai fait savoir que je refusais de chanter devant une population qui a fait confiance à ces types. Je peux te dire que, pour un sacrifice, c'en fut un de poids. Rends-toi compte, ils étalent prêts à me payer, 500.000 le concert, dont 200.000 ailleurs. Tu vois ce que je veux dire. En bien j'ai renoncé à tout, y compris à mon cachet. Mes convictions passent avant cela. Je n'allais tout de même pas me produire devant ces analphabètes. J'espère que tu as apprécié mon courage et mon abnégation. Finalement, ils te montrent la voie à suivre pour ton ministère.

Un dernier mot pour te demander comment tu as bien pu faire pour passer de Balladur à Chirac. Une véritable merveille. Je t'ai quitté balladurien et hop, le temps d'un petit voyage aux États-unis, et te voilà chiraquien. Cela n'a pas dû être très facile pour toi. Décidément, ton courage m'épate. Je suis fier de toi. Si tu le veux bien, je serai ta garde rapprochée. Tu sais ce que signifie cette expression dans ma bouche comme dans la tienne. C'est le gage de la solidarité inébranlable.

Je te prie de croire, mon cher Philippe, aux sentiments parfaitement amicaux d'un artiste français adulé par les jeunes de notre génération.

Patrick Bruel

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Réponse de Philippe Douste-Blazy à Patrick Bruel

Cher Patrick,

J'ai été beaucoup plus que touché par ta lettre « Lettre », le mot est si faible. Je devrais dire correspondance tant j'ai été impressionné par la simplicité et la profondeur de tes propos. Quelle sérénité est désormais la tienne. C'est fou le recul que tu es capable de prendre sur les choses et les gens. Le succès immense qui est le tien encore aujourd'hui ne t'a pas tourné la tête. C'est parfaitement extraordinaire. Je te félicite pour ta maîtrise et je te l'envie. Crois bien que ton exemple va m'inspirer dans mon action de tous les jours. Tu fais définitivement partie de ce groupe si restreint des grands, non seulement de la chanson française, mais de la culture française. Je dois te dire combien j'ai été sensible au fait que tu aies tenu à m'écrire à la main. Je peux te dire que je conserverai précieusement ce manuscrit, il est d'ailleurs bien trop précieux pour que je le garde par-devers moi sans précautions particulières. Si tu n'y vois pas d'inconvénient, j'ai donc décidé de faire don de cette lettre-document à la mairie de Lourdes où elle sera constamment exposée dans notre salle des fêtes, et elle portera témoignage de ta grandeur et de la qualité de mes relations culturelles.

En ce qui concerne les décorations, je suis bien décidé à ne pas agir comme un ingrat. D'ailleurs, succédant à Jack Lang et à Toubon, je te prie de croire que j'ai fort à faire. Quand tu penses qu'ils ont trouvé les moyens de décorer un illustre inconnu soi-disant un écrivain, Félicien Marceau, je vais te dire que je n'aurai aucun complexe à les distribuer, moi, les décorations. Je décorerai tous ceux que le public aime, car moi aussi j'ai le droit d'être aimé. Et si le public veut que Lova Moor soit décorée, c'est qu'il a raison car elle a beaucoup fait pour la culture française, Lova. Tu sais que c'est une bonne amie, je te conseille son dernier livre que j'ai absolument adoré. Tu peux y aller tranquillement, il ne fait que quarante pages. Sur l'affaire Balladur-Chirac, je préfère ne pas trop t'en parler, en tout cas par écrit. Il faut bien reconnaître que lorsque les sondages étaient encore excellents pour Balladur, j'ai été imprudent. Je me suis trop mis en avant. C'est que je n'imaginais pas que cela puisse se retourner. J'avais donc pris trop de risques. Une galère pas possible. Et pourtant Dieu sait que cela ne me ressemble pas de prendre des risques. Bon sang, si tu savais ce que je m'en suis voulu de mon inconscience. Mais qu'est-ce qui me passait par la tête de me montrer avec Balladur ? J'aurais bien mieux fait de rester tranquille dans mon coin. D'ailleurs, personne ne me demandait rien. Je te garantis que l'on ne m'y reprendra pas. Heureusement que je suis un ami de longue date de Line Renaud. Quand les sondages se sont retournés en faveur de Chirac, je l'ai invitée à déjeuner et ainsi elle m'a arrangé le coup. Elle a une grande influence sur le président. Une grande dame, cette Line. Un monument de la culture française. Tu vas voir comment je vais la décorer, la Line. Enfin, bref, grâce à elle, j'ai pu prendre le virage. Et hop là, à peine Balladur à Chamonix, moi j'étais avenue d'Iéna avec Chirac. Personne n'y a vu que du feu. Je t'en prie, ne cite plus le nom de Balladur devant moi. C'est à peine si je l'ai rencontré deux ou trois fois durant ces deux dernières années au gouvernent.

Oserai-je te dire que je n'ai qu'un seul point de désaccord avec toi. Oh, rassure-toi, il est bien mineur. C'est cette affaire de Front national. Vois-tu, j'ai dû faire preuve d'un très grand courage en me rendant moi-même à Orange pour évangéliser tous ces pauvres gens. Il faut aller sur le terrain pour faire reculer la bête humaine, comme l'avait dit Zola. As-tu remarqué, depuis que je suis ministre de la Culture, je m'autorise à nourrir mes textes de références littéraires. Car, vois-tu, j'ai une plus grande culture, que l'on imagine souvent. C'est que par discrétion, je n'en ai jamais fait étalage. Mais, dis toi bien que depuis des années avec ma femme nous allions dans le cinéma de Lourdes au moins deux ou trois fois par an. J'ajoute, mais surtout ne le répète pas, que l'une de mes conseillères municipales lourdaises est libraire. Elle me résume les livres qui sortent. C'est formidable ce que je peux avoir l'air savant. Évidemment, le problème c'est qu'elle ne me résume que les livres qui sont un grand succès dans ma ville. Les autres, elle ne les reçoit pas, donc ne les lit pas. Je suis ainsi devenu incollable sur la vie de Bernadette Soubirous ou sur tout ce qui touche la littérature pieuse. Enfin, je fais avec et pour le reste, ce que je n'ai pas lu, je dis qu'ils sont sur ma table de nuit.

Voilà ce que du fond du cœur, et tu sais s'il est profond mon cœur, ce que je tenais à te dire. Je l'ai fait à ma façon, toute de sensibilité, de droiture et de fidélité. C'est dans ma nature. Je n'y ai aucun mérite particulier. Soyons optimistes, les hommes de convictions voient toujours le destin leur faire croiser le chemin. C'est ce qui nous est arrivé, mon cher Patrick, sachons nous montrer à la hauteur de cet heureux hasard, comme l'aurait dit le fameux professeur Monod.

Ton ministre reconnaissant pour l'œuvre immense dont tu es l'heureux porteur.

Philippe Douste-Blazy

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