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politiful people
1 décembre 2005

Lettres de mon chateau : 11 - Lettre de François Mitterrand à Jacques Toubon

Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy

Monsieur le président de la République,
Je vous prie de trouver ci-joint la copie du courrier que vient d'adresser votre prédécesseur à votre garde des Sceaux. J'attends vos instructions. Vôtre,
Dominique de Villepin.
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Monsieur le Garde des Sceaux,

Surtout il convient que vous ne vous mépreniez sur l'intention qui me fait un devoir impérieux de vous écrire. Il ne s'agit, en aucun cas pour moi d'exprimer une quelconque solidarité politique à votre endroit, ou encore moins à celle de vos amis. Je ne me suis jamais reconnu dans vos Idées. Ce n'est certainement pas maintenant, alors que je suis à la fin de ma vie, que je vais changer. Il ne s'agit pas davantage de marquer pour moi un quelconque intérêt pour la vie et la chose politique actuelle. J'en ai tant vu, tant vécu ! Mes souvenirs sont si nombreux qu'ils font à merveille mon présent en même temps qu'ils me donnent l'illusion d'un avenir encore présent. Je ne veux en aucun cas ni aider, ni, à l'inverse, désavantager mes amis du Parti Socialiste. Je les appelle toujours mes amis. Je dois dire qu'il s'agit plus d'une habitude, d'un tropisme même, que d'une réalité. Je les ai oubliés aussi vite qu'ils m'ont laissé tomber. Et croyez bien que ce fut rapide. Mais c'est de ma faute. J'ai dû trop les engraisser tout au long de ma vie politique. Non seulement, ils ne m'ont gardé aucune reconnaissance, mais de surcroît, ils m'en veulent. On se demande bien pourquoi. Regardez ce Jospin, c'était un obscur enseignant. Son destin inéluctable consistait à ânonner les mêmes matières sa vie durant à des étudiants qui n'en avaient cure. Son physique et sa personne ne le prédisposaient pas, c'est le moins que l'on puisse dire, à la communication. Il était triste. Il l'est plus encore. Chez lui, ce qui compte, ce n'est pas qu'il soit laïc, non c'est qu'il reste dogmatique. Durant les guerres de religion, il n'aurait certes pas torturé, il était trop intellectuel pour cela. En revanche, c'est certain, il aurait revendiqué la place prépondérante dans le jury qui vous déclarait hérétique aussi vite que l'on attrapait la petite vérole dans les faubourgs nauséabonds et malfamés du Paris du Moyen Age.

Vous vous imaginez aussi aisément que ce n'est pas pour régler des comptes avec tous ces médiocres qu'aujourd'hui j'ai éprouvé le besoin de vous écrire. Car c'est bien de cela dont il s'agit. Cela fait trois mois que je vous observe. Vous vous agitez comme Chirac naguère. Après tout, ça ne lui a pas si mal réussi. Vous brossez des idées générales avec le ton docte qu'il convient. Je ne peux vous le reprocher. Je l’ai pratiqué moi-même si souvent. Votre physique, j'ai pu le noter, en bien des circonstances, vous sert à merveille. Qui pourrait douter de vos bonnes intentions en voyant cette bouille ronde comme un cercle fait au compas. Ces deux billes bleues qui, à défaut de laisser passer votre intelligence, livrent une réelle bonhomie. Finalement, et à la réflexion, j'ai peut-être de la sympathie pour vous. Un peu comme on en éprouve à l'endroit de celui qui en classe, malgré ses efforts, a des difficultés à suivre. Plus franchement, ma sympathie pour vous se nourrit bien davantage de l'antipathie forte, marquée, profonde, viscérale que j'éprouve à l'endroit de ceux dont vous avez la responsabilité : les juges. Ah, les Juges !

C'est justement d'eux, dont je souhaitais vous entretenir. Ce sont des êtres malfaisants par nature, par action et par conviction. on ne s'en méfie jamais assez. Et vous, vous êtes en train de chausser les bottes de sept lieues de l'échec de vos prédécesseurs à ce poste : Vauzelle, Nallet ou Arpaillange. Vous avez noté que dans cette liste, qui n'est pourtant pas flatteuse, je ne cite pas Pierre Méhaignerie. Car, voyez-vous, il y a des limites. Lui a été le garde des Sceaux le plus malmené : il n'a jamais rien su garder, pas même son insuffisance. Il n'y a rien qui m'énerve plus que l'expression « petit juge ». Mais c'est une tautologie parfaite. Par définition, un juge est petit; Croyez-en mon expérience. Durant l'Occupation, certains des plus fidèles et zélés collaborateurs de l'occupant furent des juges. Au nom de l'indépendance de la justice, ils envoient au cachot tout ce qui n'est pas strictement dans la norme du moment. Quand la norme change, ils changent eux aussi. Ce n'est qu'une affaire de moment, Et ne croyez pas qu'il s'agisse chez moi de l'aigreur du vieil avocat que je suis toujours resté à l'endroit de ces magistrats honnis, qui passent leur temps à mépriser ces membres du barreau, assommants de bavardises et de futilités. C'est bien plus grave que cela. Si vous les laissez faire, ils vont finir par tuer le métier. Je veux dire le métier politique. Et, avec nous, disparaîtrait la démocratie.

Voilà monsieur Toubon ce qui est en cause et c'est bien grave croyez-le. Encore une fois j'ai quelque mérite à tenir ces propos. Je ne suis plus en cause et je ne le serai plus jamais. Pour une fois, ma démarche est complètement désintéressée. J'ajoute que j'ai eu bien de la chance. Car, sur mes deux septennats, ils m'en ont laissé un se dérouler relativement tranquillement. C'est une chance que n'aura pas mon successeur, votre ami Chirac. Regardez un peu le culot qui est le leur. Le nouveau président n'est là que depuis huit semaines et déjà ils s'attaquent à son parti. Pour moi, ils avaient attendu huit ans. Pour le successeur de Chirac, ce sera huit jours, ils n'ont peur de rien. Ils fouillent les coffres, violent les domiciles privés, débarquent dans les sièges sociaux des partis. Croyez-vous qu'ils en aient honte ? Pas une seconde. Comme dirait mon arrière-petit-fils, ils ont la haine. La haine de tout ce qui bouge, de tout ce qui brille et de tout ce qui leur fait de l'ombre. Tiens, je connais des chefs d'entreprise (de fameux lâches, aussi) qui, lorsqu'ils sont convoqués par un juge d'instruction, revêtent leur plus vieux costume. Vous imaginez un peu Pierre Suard avec un trou à son costume. C'est risible. Moi, je suis d'une autre trempe et ils le savaient, les petits juges. C'est bien pour cela qu'en quatorze années de présidence il n'y en a pas un seul qui ait osé me rendre visite. Vous entendez, pas un seul ! Et s'il avait pris l'idée saugrenue à l'un d'entre eux de venir, j'aurais revêtu mon costume le plus neuf et le plus précieux. C'est comme cela qu'il faut les traiter et pas autrement. De toute façon, maintenant, il est déjà trop tard. Permettez donc que du haut de ma grande expérience, je vous prodigue quelques recommandations qui pourront paraître utiles.

D'abord, lorsque l'un de vos amis risque d'être pris dans leurs filets, faites-le partir à temps. Regardez ce brave Boucheron, il est aujourd'hui quelque part en Amérique latine. Bien malin celui qui mettra le grappin dessus. Force est de constater qu'il m'a valu moins de désagréments que ceux qui ont cru intelligent de rester. Bien sûr, mieux vaut bien choisir son pays. Pas comme ce pauvre Médecin qui a fait par sa propre maladresse deux fois de la prison. Une fois en exil et une fois au retour. Ça n'est pas très malin. Il est peut-être plus honnête qu'on le dit pour avoir été si maladroit. De ce point de vue, j'aurais plutôt tendance à avoir une appréciation positive sur le comportement de ce monsieur Schuller qui me semble être parti au bon moment..

Deuxième règle d'or, lorsque l'un de vos amis est pris, vous ne le connaissez plus. Vous ne l'avez jamais connu. Vous ignorez tout de sa personne et de sa famille. Ne croyez pas que cette attitude soit spécialement cynique. Finalement, on peut tout demander à un ami, sauf de se suicider pour lui. Je ne comprends pas, Gérard Longuet, s'il ne veut pas reconnaître qu'il était de la même promotion de l'ENA que le financier Cellier, c'est facile, il n'a qu'à nier avoir fait l'ENA. Il y a l'annuaire des anciens élèves, me direz-vous. Eh bien, il n'y a qu'à affirmer que les annuaires se trompent. Croyez-moi, j'ai fait bien pire. Est-ce que j'ai dit que j'avais été premier secrétaire du Parti socialiste pendant plus de vingt ans. Juste une seconde ! J'ai laissé Henri Emmanuelli s'expliquer. Le résultat ne s'est pas fait attendre : c'est lui qui a été condamné. Aussi, cette madame Cassetta dont on a parlé comme étant la responsable du financement du RPR, il faut affirmer que vous ne la connaissez pas. Dites par exemple que c'était une amie de Michel Roussin. D'ailleurs, je suis certain qu'elle n'a jamais été membre de votre mouvement. Et si par malheur elle l'avait été, alors rayez- la impitoyablement de vos listes.

Troisième conseil : cessez à tout moment de promettre à ces magistrats de valeur un doublement ou un triplement, ou pendant que vous y êtes, un quadruplement de leur budget. A force de promettre, vous serez un jour obligé de tenir. Alors vous aurez un beau résultat : les avoir augmentés pour qu’ils vous rendent la vie impossible. Soyez donc plus économe de vos propos et de notre argent. Sachez faire preuve de discernement. A une bonne décision doit correspondre une bonne, c'est-à-dire une utile promotion. A une mauvaise décision de leur part doit correspondre une bonne, c'est à dire utile sanction de la part du gouvernement. Œil pour oeil, dent pour dent, il n'y a que cela qu'ils comprennent. Charles Pasqua, comme toujours, avait été le premier à pressentir cette réalité. Son erreur, le malheureux, fut de choisir des policiers pour mettre en exécution son plan. Des policiers ! Pourquoi pas des gendarmes pendant qu'il y était. Ils sont aussi sots les uns que les autres. Il fallait rester entre professionnels et n'utiliser que des politiques. Croyez-en mon expérience, nous ne pouvons faire confiance qu'à nous-mêmes. Peu importe la couleur politique, car, aux yeux de ces « petits » juges, nous avons tous quelque chose à nous reprocher. Et si eux ne savent pas quoi, ils se disent que nous devons bien savoir. Nous ne sommes pas davantage pour eux qu'une femme berbère pour une tribu touarègue. Un comble, alors qu'ils sont censés appliquer la loi, nos lois ! D'ailleurs à ce propos, ce sera mon dernier conseil, il convient que le législateur soit plus méticuleux, qu'il prévoit tous les cas et les situations possibles et imaginables afin de réduire au strict minimum la capacité d'intervention et d'initiative des juges. Ma conviction est arrêtée depuis bien longtemps. Il n'y a pas assez de lois et surtout elles ne sont pas assez précises. A défaut de pouvoir les museler, je ne saurais trop vous recommander de savoir les encadrer. Une fois ce travail réalisé, une bonne partie du chemin aura été parcourue pour le plus grand bien de la démocratie et du métier. Encore un mot, ne vous faites pas trop d'illusions sur le poids et la portée des honneurs, des décorations et des colifichets multiples à destination de cette population. Tous les gouvernements s'y sont essayés. Ils ont fait crouler des promotions entières de magistrats sous le poids de médailles multicolores. Ils ressemblent à des sapins de Noël aux lendemains de fêtes chez les Rockefeller. "Qui trop embrasse, mal étreint" dit le dicton populaire. Il est vérifié à l'excès en la matière. Quant à vos amis personnels, une fois au pouvoir, mieux vaut ne plus en avoir. Ils ne vous amènent que des ennuis. Le plus efficace serait de les écarter dès le début. Hélas ! cela ne sera pas plus possible pour vous que pour moi. Pelat, Grossouvre, Charasse, si vous saviez ce qu'ils m'ont causé comme ennuis. Je souhaite, sans en être certain, que MM. François Pinault Pierre Dauzier, Pierre Suard, Jérôme Monod et consorts vous réserveront un sort moins cruel. Croyez-moi, monsieur le Garde des Sceaux, de votre capacité à être un homme politique dépend la survie du régime. J'espère, je le souhaite, je doute cependant. Vous savez ce que c'est, l'expérience....

François Mitterrand

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