Lettres de mon chateau : 13 - Signé Marc Blondel
Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy
Monsieur le Président de la République, mon cher camarade Jacques,
Je peux te dire que, pour une surprise, ce fut une
sacrée surprise. Je ne m'y attendais pas. Mes amis encore moins. Quand j'ai reçu
ce gros colis avec le tampon de la présidence de la République, je n'en croyais
pas mes yeux. J'étais tellement incrédule qu'à un moment je me suis moi-même
demandé pourquoi ce diable de François Mitterrand m'écrivait. Tu ne le
croiras pas, dis donc, mais j'avais même oublié ton élection. Tu parles
d'une blague ! Je m'en tiens encore les côtes de mon étourderie. Et puis
lorsque j'ai ouvert le paquet, j'ai été ébloui, J'ai même dû m'asseoir sous le
choc. Il y avait là tout ce que je préfère au monde : un camembert bien fait,
du jambon espagnol, du pâté corrézien, de la tête de veau, un cassoulet
de Toulouse et pas de Castelnaudary, des escargots et surtout du vin bien rouge
qui tient au corps et qui te
permet d'oublier la pollution parisienne. Tu parles d'une fête ! Et,c'est toi,
toi qui as pensé à moi. Je t'imaginais faire la liste de tous ces bons plats
bien français devant ton maître d'hôtel formé à la cuisine moderne. Tu sais,
celle qui est verte avec des petits ronds rouges au milieu. Oui, je ne te
l'envoie pas dire, pour un plaisir, c'en fut un ! Aussitôt déballé, aussitôt
consommé. Et entre camarades du syndicat de surcroît. On a tous bien bu à ta
santé, et puis on a dormi. Certains m'ont dit que, en signe de reconnaissance,
ils avaient même rêvé de toi. J'espère que tu apprécieras car ça ne doit pas
leur arriver très souvent. Et tu sais que, pour un syndicaliste, la sieste,
c'est une institution. Je me suis d'ailleurs fait installer un canapé dans mon
bureau. Ça me permet de réfléchir après le déjeuner. J'enlève ma veste, je
garde mes bretelles, et en avant pour une petite ronflette. D'ailleurs, il
faudrait institutionnaliser la sieste. Tu devrais y penser. Ce serait une
grande affaire et, crois-moi, un grand progrès social. Si nos patrons étaient
moins cons, et surtout moins attachés à leur sacro-saint profit, ils l'auraient
compris d'eux-mêmes. Tu vois un peu la révolution dans les rapports sociaux si
chaque salarié avait le droit à ce petit repos réparateur chaque jour. Je
t'assure que ça aurait un impact plus important que les congés payés de 1936 ou
le coup de la mensualisation de Pompidou. Penses-y, nous pourrions en discuter
dès la rentrée. Ça donnerait du grain à moudre, comme aimait le dire mon prédécesseur
André Bergeron.
Je sais que
tu l'aimais bien, celui-ci. Je me demande bien pourquoi, il n'a jamais
dit que des banalités. Il ne tenait même pas le syndicat. Le moins qu'on puisse
dire c'est que tu n'as pas perdu au change avec moi. D'ailleurs tu l'as
bien vu lors de la dernière campagne présidentielle. J'espère que tu n'as pas
eu à regretter notre accord. On a sacrément travaillé, à FO, pour déstabiliser
Balladur. Je peux même te dire que je n'avais jamais vu des membres RPR de FO aussi déchaînés. Dès qu'il y avait
le plus petit mécontentement dans la moindre entreprise, hop, on était partis
pour une grève avec occupation ! Il ne savait même plus où donner de la tête, Balladur !
ça fusait de partout : Air France, La Poste, les Finances, la SNCF… C’est
qu’on a mise le paquet. Ça tanguait tellement que même les trotskistes de chez
moi trouvaient que ça tapait trop dur. Remarque bien que je n’ai rien fait pour
les calmer. Ça lui apprendra, à Balladur, à m’avoir tenu pour quantité
négligeable. C’est qu’il préférait Nicole Notat. Si tu savais comme elle est
snob, celle-là ! Je te demande de ne pas la recevoir. Elle est dure, d’ailleurs.
Si insensible, si mécanique qu’elle aurait pu être patron. Et, crois-moi, avec
elle, ça n’aurait pas rigolé tous les jours. Je peux te le dire, il n'y a qu'à voir
comme elle s'est débarrassée de son prédécesseur Jean Kaspar, qui était
pourtant un bien brave type, et comment elle dirige la CFDT. Un vrai tyran,
cette femme. Il n'y a vraiment rien à en tirer. Ce fut donc un réel plaisir
pour nous que de te donner le coup de main que tu méritais. Et puis tu
m'imagines un peu avec Jospin comme président ? il n'y a rien à dire à un homme
comme celui-là. Il n'a rien d'un bon vivant. Il n'est pas comme moi qui aime
tant les choses de la vie. Tu me vois lui racontant la dernière corrida à
laquelle j'ai assisté ? Je suis certain qu'il me regarderait comme un
extraterrestre. Eh bien, finalement, les choses se sont déroulées comme nous
l'avions prévu, et c'est bien ainsi.
Maintenant,
mon cher camarade, il faut se mettre au travail. J'espère que tu ne m'en veux
pas de t'appeler camarade, mais c'est ainsi qu'on te considère à FO. Ils le
savent bien, les gars de la centrale, que c'est moi qui t'ai fait ton programme.
« L'Idéologue », qu'ils m'appellent maintenant. Ça me fait une drôle d'impression,
moi qui étais toujours bon dernier à l'école. Les choses changent et c'est la
preuve que chacun a sa chance. Je veux d'abord te féliciter pour le coup de
l'augmentation de l'impôt sur la fortune. Il faut taper sur les riches. Ça ne
coûte rien en termes électoraux. Pour qui veux-tu donc qu'ils votent d'autre
que pour toi ? Et ça peut te rapporter gros. En France, il n'y a rien qu'on
aime plus que lorsqu'on tape sur les possédants. Et puis il ne faut pas y aller
avec le dos de la cuillère. C'est comme ça qu'on fait de la justice sociale. Et
c'est de cette façon que tu seras un grand président. D'ailleurs, il faut que
tu ailles beaucoup plus loin. Il faut leur augmenter la dernière tranche de
l'impôt sur le revenu. J'ai vu
que ce fou
de Madelin voulait l'abaisser. Mais où est-ce qu'il a la tête, celui-là? Tu
devrais lui remonter les bretelles. Et s'il veut pas comprendre, mets-le donc
dehors. Je te le répète, les riches, ça doit payer. Et plus ils t'engueulent,
mieux ça sera pour toi. Crois-en mon expérience, je ne suis pas du genre à me
tromper. Par contre, j'ai moins de félicitations à te faire pour le coup de la
TVA. C'est mauvais car, dans cette affaire, tout le monde passe à la caisse et ça,
c'est pas bon. Je suis certain que c'est
une idée de ton Premier ministre. Je ne le sens pas trop, celui-là. Il est trop
maigre, trop sec. Un drôle de type, il faut que tu le surveilles de plus près.
Et puis, le moment venu, que tu le débarques pour nommer Séguin à sa place.
Lui, il me plaît bien. Et puis c'est un vrai gros, bien en chair. En voilà un
qui va savoir remuer le populaire. En tout cas, pour compenser cette sale
histoire d'augmentation de la TVA, il faut augmenter les salaires, et pas qu'un
peu ! Tu dois donner l'exemple avec les fonctionnaires. Là, ça ne dépend que de
toi. Il faut mettre le paquet et, surtout, ne pas t'occuper de savoir s'il y a
assez d'argent dans les caisses. Si tu leur demandes, à ces obtus de Bercy, ils
te répondront que non. Et pourtant, s'il y avait la guerre, ils trouveraient
bien l'argent. Alors toi, t'as qu'à dépenser, eux se débrouilleront après.
C'est leur boulot, pas le tien.
Et puis il faut que les patrons
mettent la main à la poche. Après tout, c'est pour eux qu'on fait ça. Cet
argent distribué en plus, c'est bien pour permettre aux salariés de consommer
davantage et d'acheter leurs produits, à ces chefs d'entreprise. Et si ces imbéciles
de patrons ne veulent pas le comprendre, il faut les obliger. Tu n'as qu'à leur
dire les choses simplement. Soit ils augmentent ces salaires, soit tu leur
interdis les licenciements. Elle est là, la bonne idée, imparable : si les
patrons sont compréhensifs, tu autorises; s'ils ne le sont pas, tu refuses.
Et voilà,
une fois de plus, le tour est joué. De plus, ce sera du meilleur effet sur les
statistiques du chômage : avant les élections, pas d'autorisation. Après, tu
avises. Pour un système efficace, c'en est un fameux. Et puis moderne avec ça.
Et puis si,
malgré tout, ça ne devait pas suffire, il faudrait employer les grands moyens :
la grève. Ah ! rien ne vaut une bonne grève pour ramener le patron à la raison.
Pour peu que le ciel soit clément à l'automne, ça marchera à tous les coups.
Les gens sont tristes d'être rentrés de vacances. Ils sont encore plus chagrins
d'avoir repris le boulot C'est te dire qu'ils n'attendent qu'une étincelle pour
descendre dans la rue. Vois-tu, ça change, si agréablement d'un quotidien si
morne. Toi et moi, on est tellement sur la même longueur d'onde qu'un jour ou
l'autre, si ton emploi du temps te le permettait, tu pourrais même venir
manifester avec nous. Je suis certain que les gens te réserveraient un accueil
formidable. Tu ne te rends pas compte ce que ça représente pour eux un président
qui manifeste. Le jour où le gouvernement Juppé sera devenu trop impopulaire,
tu pourras manifester contre lui, histoire de bien montrer que tu n'y es pour
rien dans leurs magouilles. Ça serait du meilleur effet. Et puis on verrait
enfin un homme politique qui n'aurait pas peur d'afficher ses convictions.
Crois-moi, ça changerait bien des choses. Quand tu penses que même la CGT
n'aime plus manifester. Ah non, vraiment, ce sont les traditions qui se
perdent. Ce pauvre Louis Viannet a bien vieilli. Ils auraient tout de même pu
en trouver un plus neuf après Krasucki. Enfin, c'est leur affaire. La CGC a
bien trouvé Vilbenoit. Il ne manquait plus qu'on lui mette un "de"
devant et j'aurais pu l'appeler "le marquis", tellement il est maniéré.
Y'a pas de risque que tu t'entendes avec lui ! D'ailleurs, mon conseil est
formel : quand tu reçois les organisations syndicales, si tu veux les
recevoir toutes, ce qui peut se discuter, en tout cas. ce qui ne se
discute pas, c'est que tu dois me recevoir en premier. C'est pas parce que je
fais des manières, tu me connais, je ne suis pas plus qu'un autre attaché aux
honneurs, mais il y a là des limites à ne dépasser en aucun cas. Je suis le
représentant du syndicat le plus puissant, en tout cas parmi ceux qui t'ont
soutenu, et je suis le syndicaliste le plus représentatif de la France
profonde. Je suis simple et populaire. Tu dois me recevoir le premier, de préférence
à déjeuner, avec une entrée et un dessert s'il te plaît. Quand tu repenses que,
par souci d'économie, Balladur avait supprimé les entrées, je sortais de chez
lui et j'avais plus faim qu'avant d'y entrer ! Tu vois ça, pas d'entrée ! Et
pourquoi pas d'apéritif ? Pas de vin ? Ou pas de digestif ? Non, il y a
vraiment des types dans la politique qui ont une drôle de façon de vivre.
J'allais oublier de te remercier. C'est fou ce que je te fais comme remerciements. Ne t'y habitue pas trop. Oui, je voulais te remercier pour l'adhésion de ton huissier personnel José à la centrale. On a tous vécu ça comme un sacré honneur. On s’imagine
bien qu’il n’a pas pu le faire sans ton accord. C’est pour ça qu’on est bien
content. Et puis, c’est un sacré camarade. Figure-toi qu’il est comme toi, qu’il
n’aime que la bière, mais pardon, question lever de coude, il n’a peur de
personne, un vrai champion ! et puis c’est intéressant parce qu’il nous
raconte tout ce qui se passe à l’Élysée. Je connais par le détail tes menus et
la couleur de tes costumes. Je suis certain, en revanche, qu’il ne te dit rien
de ce qu’il voit ici. Figure-toi que, sans même que je lui demande quoi que ce
soit, il me l’a promis. En revanche, tu m’expliqueras la manie qu’à ce garçon de
passer son temps devant les photopieuses. On dirait que ça l’amuse. Il passe
des heures à photocopier je ne sais quoi. Et puis je vois bien qu’il a des
relations. On lui téléphone toujours du Ministère de l’Intérieur. J’aime mieux
te dire que ça les impressionne, les gars de chez nous…. A ce propos, tu n’oublieras
pas notre part dans les fonds secrets. Ce Balladur était un pingre. Tu devrais
prendre la part de la CFDT pour nous la donner. Ça évitera que Notat joue la
pimbèche avec ses tailleurs de prétentieuse. Voilà, mon cher camarade Jacques,
ce que ton copain Marc voulait te dire. Elle va être bien belle et bien solidaire
notre France, grâce à notre action conjuguée. Ils n’ont pas fini d’entendre
parler de notre équipe. Crois, mon cher jacques, au soutien de tes camarades
syndiqués de FO. Tu ne le regretteras pas, tu auras bien des occasions d’être
fier de nous.
Marc
Blondel, qui t’en sert cinq