Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
politiful people
18 septembre 2005

Lettres de mon chateau : 14 – A l’attention d’Edouard Balladur

Pour une présentation générale des lettres de mon chateau, écrites par Mazarin, aka Sarkozy

Monsieur le Premier ministre et cher Edouard,

Je viens d’apprendre par le ministre de l’intérieur Jean Louis Debré que vous envisagez de redevenir parlementaire au mois de septembre. Loin de moi l’idée de commenter cette nouvelle initiative de votre part. Vous n’en avez toujours fait qu’à votre tête. Vous vous faites un point d’honneur à n’écouter aucun conseil. Je me garderai donc bien d’en prononcer le moindre. Vous me permettrez cependant de noter qu’une fois encore vous revenez sur votre parole. Combien de fois vous ai-je entendu dire que la politique n’était pas votre affaire, que tout cela vous ennuyait à mourir et que vous n’aviez nullement l’intention de persévérer. Quant à votre mandat de député, vous aviez dit à qui voulait l’entendre quelques semaines après votre entrée à Matignon qu’en aucun cas vous ne souhaiteriez le retrouver. Une fois de plus, donc, vous avez changé d’avis. Que n’aurais-je entendu si j’en avais fait la moitié !

Voici que maintenant la politique vous passionne au point de vouloir vous présenter devant des électeurs que vous avez eu en horreur et dont il faut bien dire que vous ne vous êtes jamais occupé. Loin de moi l’idée de vous en faire grief. Je sais d’ailleurs que vous ne supportez pas les reproches. De ce point de vue, j’ai même l’impression que votre échec à la présidentielle n’a pas arrangé les choses. Pour vous montrer ma grande mansuétude à votre égard et le souci que j’ai de vous accorder mon pardon en jetant ma rancune à la rivière, je suis prêt , si vous me le demandez , à vous accorder mon soutien par le biais de quelques mots que je suis disposé à vous écrire et que vous pourrez publier dans votre document de campagne. Ce serait du meilleur effet pour vous. Peut-être même cela permettra-t-il d’effacer quelque peu la détestable impression qu’a laissée votre attitude lors de la dernière campagne présidentielle. Vous savez qu’elle fut jugée très sévèrement par les électeurs et qu’il suffirait de peu pour que ceux du XVe arrondissement de Paris ne le manifestent avec éclat. Vous savez comme moi que les comportements fourbes ne sont jamais appréciés par nos compatriotes et que les trahisons ont toujours été jugées avec la plus grande sévérité. Ce petit mot de moi vous permettrait sans doute de vous présenter sous un jour plus avenant et Dieu sait si vous en avez besoin. Car, de surcroît, vous ne savez pas comment il convient de faire campagne. Je m’en suis aperçu tout au long de ces derniers mois. Ce fut toujours trop ou trop peu. Trop lorsque Sarkozy et Bazire avaient entrepris de vous faire monter sur les tables. Heureusement qu’il ne restait que quelques jours de campagne, sinon je suis certain qu’ils vous auraient fait rouler sous la table. Trop lorsque vous avez monté cette minable affaire d’auto-stop. Mon pauvre Edouard, qui pouvait croire qu’une femme normalement constituée eût pu avoir la moindre envie de vous prendre en  auto-stop ? A une cérémonie d’enterrement, pourquoi pas, à une messe commémorative certainement, mais en auto-stop, vous avez fait rigoler la France entière. A vos dépens, bien sûr. Trop peu lorsque vous serrez la main à vos interlocuteurs, encore que le mot soit mal choisi : vous vous contentez de tendre une main molle d’où il ne sort pas la moindre énergie. On dirait du Méhaignerie. Or pour gagner une campagne, il faut savoir serrer des mains avec une véritable poignée de main virile, franche, loyale. Tout votre contraire. Je me fais donc du souci pour votre campagne. C’est que, de surcroît, ce n’est pas votre faute puisqu’on vous a tout donné –ou, plutôt je vous ai tout donné. Vous ne vous êtes jamais battu. L’idée ne vous en a même jamais traversé l’esprit. Je vous ai d’abord accordé ma confiance. Je vous laisse juge de savoir si j’ai eu raison ou tort. J’ai fait de vous un député, puis un ministre d’Etat, enfin un Premier Ministre. Vous n’avez même pas eu à vous baisser pour ramasser ce que je vous ai accordé. Sans doute vous ai-je trop donné puisque cela finit par vous tourner la tête. C’est dire que le combat n’est pas une attitude naturelle chez vous. Pour la première fois de votre vie, il va vous falloir apprendre à vous débrouiller tout seul. Comme je ne veux pas être trop cruel, je vous propose mon aide et mon soutien. Je suis certain que vous saurez apprécier à sa juste valeur ce témoignage d’une amitié que je vous garde malgré votre comportement de ces deux dernières années. J’espère que vous aurez assez de lucidité pour apprécier le point d’honneur que je mets à ne jamais critiquer ce qui fut votre action. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire. Où je me tourne, je ne vois que champs de ruines et catastrophes. Soit vous avez mal décidé, soit vous vous êtes abstenu de prendre une décision, ce qui, après tout revient quasiment au même. C’est ainsi que vous n’avez jamais su redresser la périlleuse situation de nos soldats en Bosnie, que l’état des finances publiques est sinistré (de ce point de vue, votre tandem avec Sarkozy s’est révélé redoutable d’inefficacité), que la justice est dans un état si déplorable que les juges veulent désormais se venger sur tout le monde, y compris sur moi. Quant à la Sécurité Sociale, vous l’avez mise au bord de la cessation de paiement. Joli bilan en vérité, qui mériterait une sévère explication devant les français.

Croyez-moi, j’ai gardé un souvenir précis de l’alternance avec les socialistes en 1986. Eh bien, je dois vous le dire, dussè-je affronter votre courroux, mieux valait succéder à Laurent Fabius qu’à vous-même. Et pourtant, prenant sur moi, sur mon envie d’en découdre, je n’en dirai mot. J’assumerai. Car, voyez-vous, mon cher Edouard, c’est cela le devoir premier d’un homme d’Etat. Assumer. Je n’ai pas l’intention de décevoir des millions de jeunes qui m’ont constamment soutenu comme ils vous ont si souvent battu. Ils peuvent compter sur moi comme je sais pouvoir compter sur eux. Ce n’est pas moi qui aurais fait la bêtise d’un CIP ou d’une loi Falloux. C’est que, voyez-vous, la politique est un métier. Un métier difficile, exigeant et, en même temps, profondément exaltant. Ce métier n’a jamais été et ne sera jamais pour vous. Vous êtes de santé trop fragile, de caractère trop inconstant, de tempérament trop instable pour pouvoir mener une action politique sur la longueur. N’ayez donc aucun regret, ce métier de président n’était pas fait pour vous. Pas plus d’ailleurs que celui de Premier Ministre. C’est miracle que vous le soyez devenu. Prenez donc tranquillement votre retraite de conseiller d’Etat, amusez vous quelque temps avec ce petit mandat de député qui vous fait tellement envie et ne vous occupez plus jamais de politique. C’est un conseil d’ami. De ceux que je réserve à ceux pour qui j’ai quelque estime. Vous ne vous en porterez que mieux.

Croyez, Monsieur le Premier Ministre et cher Edouard, en ma sympathie réelle.

Jacques Chirac

 

 

Réponse d’Edouard Balladur à Jacques Chirac

Monsieur le Président de la République et cher Jacques,

J’ai bien reçu votre lettre. Je l’ai trouvée fort aimable, même si quelques unes de vos formules m’ont mis de fort méchante humeur. Je vous sais gré de votre proposition de soutien pour mon élection législative. Je n’en attendais pas moins de vous. Je sais à qul point vous êtes un homme fidèle à vos convictions comme à vos amis. Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing me le rappelaient incidemment il y a encore fort peu de temps. Cependant, vous aurez certainement noté que je n’avais pas sollicité votre soutien pour la raison simple que je ne pense pas en avoir besoin.

Je ne sais ce que pensent tous vos électeurs. Je sais, en revanche, ce que pense un bonne partie d’entre eux puisque, avant d’être les vôtres au second tout, ils furent les miens au premier. Sachez que tout cela m’a donné des idées. Jamais je ne me suis senti aussi jeune. J’ai aimé cette campagne. J’ai apprécié cette communion affective entre la foule et le candidat. Je déborde d’idées et de projets et, puisque vous m’y encouragez avec tant de sollicitude, je crois bien que je vais continuer dans la politique. Vous avez raison de souligner que j’avais manqué d’occasions de combat durant ma vie. Eh bien, c’est décidé, j’ai bien l’intention de rattraper le temps perdu et de ne plus m’en laisser conter. Je serais d’abord réélu député à la rentrée. J’ai bien l’intention d’être un candidat tout à fait remarquable. J’espère que vous aurez l’occasion de m’en complimenter.

Je participerai à tous les débats, notamment celui que vous ne manquerez pas d’organiser sur la justice. Les juges, me dites-vous, ont été maltraités. Peut-être avez-vous vu juste. Je devrais donc les entourer de toute ma sollicitude. C’est une bien bonne idée que vous m’avez donnée là. C’est un devoir pour moi de les aider en toutes circonstances à garantir leur indépendance. Je saurai le faire, y compris si cela devait m’obliger à mon grand regret , mais, après tout , une fois n’est pas coutume, à m’opposer à vous.

Voyez-vous, mon cher Jacques, l’histoire –celle qu’on lit dans les livres que, précisément , vous ne lisez pas- enseigne au lecteur assidu et attentif qu’elle est un perpétuel recommencement. Eh bien voilà, c’est justement ce que j’ai l’intention de faire : recommencer. Recommencer, telle est désormais ma ligne de conduite, et même mon slogan pour ma prochaine campagne législative. Recommencer pour la plus grande joie de ceux qui m’aiment et de ceux qui ne m’aiment pas –je sais dans laquelle des deux catégories je dois désormais vous ranger. Recommencer pour mon plaisir et pour le vôtre. Nous aurons bien d’autres occasions d’en parler, Monsieur le Président et cher Jacques. En attendant, je me permets de vous souhaiter un septennat dont je doute qu’il soit paisible.

Votre ami pour trente ans.

Edouard Balladur

Publicité
Commentaires
Publicité